Café de Flore / Photo Saint-Germain-des-Prés |
Quatrième de couverture
Bagdad, tournant du millénaire. Un écrivain besogneux est
chargé par deux individus assez louches d’écrire la biographie d’un certain
Abdel-Rahman Shawkat. La tâche s’annonce d’autant plus ardue que ce dernier,
porte-parole autoproclamé de l’existentialisme sartrien dans l’Irak des années
1960, n’a laissé aucun écrit, préférant exercer dans les cafés et les cabarets.
À mesure que le biographe progresse dans son enquête et retrace le parcours
tortueux de cet épigone irakien de Sartre, nombre de questions se font jour
quant aux motivations profondes de ses commanditaires et aux circonstances de
la mort du pseudo-philosophe. Ali Bader dresse un tableau truculent de la
société bagdadienne entre les années 1950-1960 et la fin du siècle, une fresque
dans laquelle se croisent aristocrates, marginaux, marchands, danseuses de
cabaret, militants trotskistes, travailleurs journaliers, ministres et
intellectuels de troisième zone... Papa
Sartre est à la fois une biographie fictive délirante, un roman d’enquête
aux accents postmodernes et une satire des milieux intellectuels irakiens et
arabes. Un récit énergique, à la fois drôle et déroutant, qui met
les pieds dans le plat en abordant les délicates questions de l’identité, du
savoir et du pouvoir.
Ali Bader est né à Bagdad et vit aujourd’hui à Bruxelles.
Grand chroniqueur de la petite histoire irakienne, il a publié onze romans
depuis le début des années 2000, parvenant à s’imposer comme l'une des voix les
plus originales de sa génération. Papa
Sartre, qui a été couronné par plusieurs prix littéraires dans le monde
arabe, est la première de ses œuvres à être traduite en français.
Traduit de l’arabe (irak) par May A. Mahmoud
Extrait
Abdel-Rahman tira les rideaux en mousseline et se posta à
sa fenêtre pour observer le souk. Les volumineux turbans noirs des marchandes,
aux seins desquelles étaient pendues les têtes chauves de leurs nourrissons, émergeaient
entre les corbeilles de radis, d’herbes fraîches et de figues mûres. Une foule d’hommes
et de femmes allait et venait parmi les grandes gamelles de citrons et d’oranges,
les paniers d’oignons, de poivrons verts de pommes bien lavées, les sacs de
dattes confites… A l’autre bout étaient empilées les cages à poules, à canards
et à petits oiseaux ; des moutons gambadaient juste à côté, le long de
haies qui laissaient entrevoir une jungle chaotique ombrageant quelques pots de
myrte et d’espèces florales diverses.
Lentement, devant le miroir vertical fixé sur la table de
sa chambre, Abdel-Rahman s’habilla. Quand il eut noué sa mince cravate bleue,
il mit ses lunettes carrées à monture de plastique noir et fit aller son regard
entre la photographie de Jean-Paul Sartre et la glace. Alors un profond
sentiment de contrariété l’envahit.
Pourquoi n’était-t-il pas borgne ? se dit-il,
regrettant que son reflet dans le miroir n’offrît pas une parfaite similitude
avec l’image de Sartre. Abdel-Rahman était toujours rasé de près, il se
gominait les cheveux et se coiffait comme Sartre ; son joli visage
anguleux présentait des traits proches du sien : même nez fin, mêmes joues
bien pleines, même bouche pincée… Il
avait beau faire, toutefois, jamais il ne pourrait passer pour la copie
conforme du philosophe français. Si la nature n’avait pas refusé de le
gratifier de cet œil droit déficient, il se serait pourtant senti comblé et sa
vie lui aurait semblé en tout point accomplie… Et comment ? Il aurait été
un deuxième Sartre !
A cet instant, Abdel-Rahman réalisa que l’existence était
fondamentalement inique et cruelle. Si la justice, l’égalité et la morale avaient
prévalu, Dieu n’aurait pas manqué de le faire naître borgne, comme Jaseb, qui
déambulait avec sa charrette et vendait ses légumes flétris dans le souk de
Sadriya. Cet ignorant ne se rendait même pas compte de la grâce insigne que
représentait son regard sartrien, il ne voyait ni la portée philosophique de
cet éborgnement, ni le rôle éminent que cet œil éteint avait pu jouer dans l’histoire
des idées. Et sans nul doute Jaseb, si on lui avait demandé lequel de ses deux
yeux il préférait, aurait choisi celui qui restait sain, malgré son caractère
extrêmement banal. Dans ce monde où toutes les créatures avaient reçu deux yeux
pour voir, son infirmité ne lui apportait que honte et affliction. Seuil
Je ne connaissais pas du tout et ta critique incite à la curiosité!!!
RépondreSupprimerPeut être que ce pseudo Sartre se supposait être dans un pays d'aveugles, et il serait roi!
RépondreSupprimerIl vit à Bruxelles, envie de le rencontrer :)
RépondreSupprimerÀ lire absolument! Merci! Je l'achèterais quand je serais à Paris. On se voit Café de Flore? mi-Avril? Bisous ma douce!
RépondreSupprimerAh! très bien !ma douce je t'ai taguée sur mon blog ... tu ne vas peut-être pas répondre mais je tenais à te remercier pour ta fidélité et ta gentillesse. Mille bisous
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