Viktor Alexeevich Bobrov (1842-1918), Esther |
Quatrième de
couverture
C’est dans le ghetto juif du Caire
que naît, contre toute attente, d’une jeune mère flamboyante et d’un père
aveugle, Zohar l’insoumis. Et voici que sa sœur de lait, Masreya, issue de la
fange du Delta, danseuse aux ruses d’enchanteresse, le conduit aux portes du
pouvoir. Voici aussi les mendiants et les orgueilleux, les filous et les
commères de la ruelle, les pauvres et les nantis, petit peuple qui va roulant,
criant, se révoltant, espérant et souffrant.
Cette
saga aux couleurs du soleil millénaire dit tout de l’Égypte : grandeur et
décadence du roi Farouk, dernier pharaon, despote à l’apparence de prince
charmant, adoré de son peuple et paralysé de névroses. Arrivée au pouvoir de
Gamal Abdel Nasser en 1952 et expulsion des Juifs. Islamisation de l’Égypte
sous la poussée des Frères musulmans, première éruption d’un volcan qui n’en
finit pas de rugir… C’est la chute du monde ancien, qui enveloppait magies et
sortilèges sous les habits d’Hollywood. La naissance d’un monde moderne, pris
entre dieux et diables.
Biographie
Ethnopsychiatre,
disciple de Georges Devereux, professeur de psychologie, quelque temps
diplomate, Tobie Nathan est également essayiste et romancier. Il a publié,
entre autres, La Nouvelle Interprétation des rêves (Odile Jacob, 2011) et
Ethno-roman (Grasset), prix Femina de l’essai 2012.
Extrait
On
installa Jinane à la belle poitrine dans un large canapé d'osier. Dans un bras,
elle tenait Masreya, l'enfant du Nil, qui s'était assoupie; les tantes d'Esther
installèrent le garçon qui n'avait pas encore de nom dans l'autre bras. Il
s'empara fiévreusement du sein et se nourrit ainsi, une heure d'affilée, sans
s'arrêter. Motty, son père, debout, appuyé sur une canne, ne cessait de
psalmodier en hébreu ce vers du Cantique: «Ton
sein est une coupe arrondie, où ne manque pas le vin parfumé. Ton corps,
entouré de lys, est un pain de froment.»
La nouvelle du prodige se répandit à la
vitesse de la parole. Il se forma un attroupement devant la porte de
l'épicerie. La tante Maleka sortait offrir des dattes en criant: « C'est un
prodige, un grand prodige! » Jamais un quartier du Caire ne s'était
enthousiasmé devant la tétée d'un bébé.
Jusqu'au coucher, l'enfant se nourrit encore trois fois au sein d'abondance. Il s'emparait d'un mamelon, la petite Masreya de l'autre, et les mains des deux enfants quelques fois se touchaient. On aurait pu penser à deux amants pénétrant au paradis en se tenant par la main. La nuit était avancée lorsqu'on le coucha, repu, dans les bras d'Esther, sa mère.
Jinane était hébergée dans la plus grande maison de la famille, celle de la tante Maleka et de son mari Yakoub, que l'on appelait Poupy. Elle se sentait à l'abri dans le ghetto. Elle savait que nul ne viendrait la chercher au royaume des exclus. Elle se disait que, là, sa fille ne courait aucun danger, dans l'ignorance de sa famille, les paysans ombrageux du Delta, à l'abri de l’œil envieux des femmes de la rue Ma'rouf, loin des fureurs prévisibles de la rue Abdine et de son maître, Abdel Wahab. Et les femmes juives de la rue, le cœur gonflé de reconnaissance, la traitaient comme une princesse. Tous les jours, elles lui présentaient des plats dont elles avaient le secret, la soupe de blé au lait, d'abord, celle qu'on réserve aux nouvelles accouchées, puis les courgettes farcies de viande, que l'on disait « italiennes », de la viande de veau en ragoût qu'elle n'avait jamais goûtée ailleurs et qu'ils appelaient « séfrito », du riz aux lentilles et à l'aneth et, bien sûr, les multiples préparations de foul, les fèves séchées, la délicieuse nourriture du petit peuple d'Egypte. Entre les repas, elles faisaient assaut de petits gâteaux, feuilletés aux noisettes dégoulinant de miel, bouchées de pâtes fourrées à la purée de dattes ou rondelles blanches de sucre, comme la pleine lune, et fendues comme les fesses des femmes. Stock
Jusqu'au coucher, l'enfant se nourrit encore trois fois au sein d'abondance. Il s'emparait d'un mamelon, la petite Masreya de l'autre, et les mains des deux enfants quelques fois se touchaient. On aurait pu penser à deux amants pénétrant au paradis en se tenant par la main. La nuit était avancée lorsqu'on le coucha, repu, dans les bras d'Esther, sa mère.
Jinane était hébergée dans la plus grande maison de la famille, celle de la tante Maleka et de son mari Yakoub, que l'on appelait Poupy. Elle se sentait à l'abri dans le ghetto. Elle savait que nul ne viendrait la chercher au royaume des exclus. Elle se disait que, là, sa fille ne courait aucun danger, dans l'ignorance de sa famille, les paysans ombrageux du Delta, à l'abri de l’œil envieux des femmes de la rue Ma'rouf, loin des fureurs prévisibles de la rue Abdine et de son maître, Abdel Wahab. Et les femmes juives de la rue, le cœur gonflé de reconnaissance, la traitaient comme une princesse. Tous les jours, elles lui présentaient des plats dont elles avaient le secret, la soupe de blé au lait, d'abord, celle qu'on réserve aux nouvelles accouchées, puis les courgettes farcies de viande, que l'on disait « italiennes », de la viande de veau en ragoût qu'elle n'avait jamais goûtée ailleurs et qu'ils appelaient « séfrito », du riz aux lentilles et à l'aneth et, bien sûr, les multiples préparations de foul, les fèves séchées, la délicieuse nourriture du petit peuple d'Egypte. Entre les repas, elles faisaient assaut de petits gâteaux, feuilletés aux noisettes dégoulinant de miel, bouchées de pâtes fourrées à la purée de dattes ou rondelles blanches de sucre, comme la pleine lune, et fendues comme les fesses des femmes. Stock
Mon coup de cœur de cette rentrée littéraire 2015
Merci à Elisabeth de la librairie
Très bel extrait où on sent la passion bouillonnante !
RépondreSupprimerUn coup de cœur qui donne envie de plonger dans cet ouvrage...
RépondreSupprimerBonjour Kenza,
RépondreSupprimerVoila qui donne envie de reprendre quelques petits gâteaux aux miel. J'aime également beaucoup le tableau que tu as choisi. La peau est magnifiquement rendue.