lundi 31 août 2015

Ce pays qui te ressemble, Tobie Nathan

Viktor Alexeevich Bobrov (1842-1918), Esther

Quatrième de couverture
   C’est dans le ghetto juif du Caire que naît, contre toute attente, d’une jeune mère flamboyante et d’un père aveugle, Zohar l’insoumis. Et voici que sa sœur de lait, Masreya, issue de la fange du Delta, danseuse aux ruses d’enchanteresse, le conduit aux portes du pouvoir. Voici aussi les mendiants et les orgueilleux, les filous et les commères de la ruelle, les pauvres et les nantis, petit peuple qui va roulant, criant, se révoltant, espérant et souffrant.

  Cette saga aux couleurs du soleil millénaire dit tout de l’Égypte : grandeur et décadence du roi Farouk, dernier pharaon, despote à l’apparence de prince charmant, adoré de son peuple et paralysé de névroses. Arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser en 1952 et expulsion des Juifs. Islamisation de l’Égypte sous la poussée des Frères musulmans, première éruption d’un volcan qui n’en finit pas de rugir… C’est la chute du monde ancien, qui enveloppait magies et sortilèges sous les habits d’Hollywood. La naissance d’un monde moderne, pris entre dieux et diables. 

Biographie
  Ethnopsychiatre, disciple de Georges Devereux, professeur de psychologie, quelque temps diplomate, Tobie Nathan est également essayiste et romancier. Il a publié, entre autres, La Nouvelle Interprétation des rêves (Odile Jacob, 2011) et Ethno-roman (Grasset), prix Femina de l’essai 2012.

Extrait
  On installa Jinane à la belle poitrine dans un large canapé d'osier. Dans un bras, elle tenait Masreya, l'enfant du Nil, qui s'était assoupie; les tantes d'Esther installèrent le garçon qui n'avait pas encore de nom dans l'autre bras. Il s'empara fiévreusement du sein et se nourrit ainsi, une heure d'affilée, sans s'arrêter. Motty, son père, debout, appuyé sur une canne, ne cessait de psalmodier en hébreu ce vers du Cantique: «Ton sein est une coupe arrondie, où ne manque pas le vin parfumé. Ton corps, entouré de lys, est un pain de froment.»
  La nouvelle du prodige se répandit à la vitesse de la parole. Il se forma un attroupement devant la porte de l'épicerie. La tante Maleka sortait offrir des dattes en criant: « C'est un prodige, un grand prodige! » Jamais un quartier du Caire ne s'était enthousiasmé devant la tétée d'un bébé.
  Jusqu'au coucher, l'enfant se nourrit encore trois fois au sein d'abondance. Il s'emparait d'un mamelon, la petite Masreya de l'autre, et les mains des deux enfants quelques fois se touchaient. On aurait pu penser à deux amants pénétrant au paradis en se tenant par la main. La nuit était avancée lorsqu'on le coucha, repu, dans les bras d'Esther, sa mère.
  Jinane était hébergée dans la plus grande maison de la famille, celle de la tante Maleka et de son mari Yakoub, que l'on appelait Poupy. Elle se sentait à l'abri dans le ghetto. Elle savait que nul ne viendrait la chercher au royaume des exclus. Elle se disait que, là, sa fille ne courait aucun danger, dans l'ignorance de sa famille, les paysans ombrageux du Delta, à l'abri de l’œil envieux des femmes de la rue Ma'rouf, loin des fureurs prévisibles de la rue Abdine et de son maître, Abdel Wahab. Et les femmes juives de la rue, le cœur gonflé de reconnaissance, la traitaient comme une princesse. Tous les jours, elles lui présentaient des plats dont elles avaient le secret, la soupe de blé au lait, d'abord, celle qu'on réserve aux nouvelles accouchées, puis les courgettes farcies de viande, que l'on disait « italiennes », de la viande de veau en ragoût qu'elle n'avait jamais goûtée ailleurs et qu'ils appelaient « séfrito », du riz aux lentilles et à l'aneth et, bien sûr, les multiples préparations de foul, les fèves séchées, la délicieuse nourriture du petit peuple d'Egypte. Entre les repas, elles faisaient assaut de petits gâteaux, feuilletés aux noisettes dégoulinant de miel, bouchées de pâtes fourrées à la purée de dattes ou rondelles blanches de sucre, comme la pleine lune, et fendues comme les fesses des femmes. Stock


Mon coup de cœur de cette rentrée littéraire 2015
Merci à Elisabeth de la librairie

mercredi 19 août 2015

Beautés marocaines, Zinaïda Serebriakova

Zinaïda Serebriakova (1884-1967), Girl in Pink

Young Moroccan

The Jewish girl from Sefrou

Illuminated by the sun

Moor

Woman raising her veil

A Moroccan Woman

Portrait of a Girl of Marrakech

Moroccan woman in pink dress

Moroccan woman in white

Figures in the doorway

In the courtyard

Marrakech

Two Moroccan

A young woman in a white headdress
***

Photos du Maroc, Nicolás Muller (1913-2000)

Nicolás Muller (1913-2000), Fête du Mouloud I – Al Mawlid I [Mouloud festival I] Tangier, Morocco, 1942 © Nicolás Muller
Encore peu connu en France, Nicolás Muller (Orosháza, Hongrie, 1913-Andrín, Espagne, 2000) est l’une des grandes figures de la photographie sociale hongroise. Comme plusieurs de ses compatriotes photographes — Eva Besnyö, Brassaï, Robert Capa, André Kertész et Kati Horna — Nicolás Muller a connu l’exil.

Issu d’une famille juive bourgeoise, il fuit les régimes répressifs des pays européens à mesure qu’il les traverse. D’abord à Paris, puis au Portugal, en passant par le Maroc et finalement l’Espagne, son parcours professionnel et personnel est marqué par les traces de l’exil.

Formé au hasard de ses rencontres et de ses expériences, les photographies de Nicolás Muller, des années 1930 sont marquées par un style documentaire « humaniste » qui révèle une grande sensibilité pour le monde ouvrier et les classes sociales les plus démunies (commune à une grande partie des photographes hongrois de l’époque).

La représentation du monde du travail est sans doute un point de départ important dans sa carrière. Indépendamment des contextes sociaux et politiques du pays où il se trouve, il photographie les ouvriers agricoles, les dockers des ports de Marseille et de Porto, les enfants des rues, les marchands ambulants à Tanger, la vie des campagnes et, plus tard, les célébrités de Madrid.

L’exposition du Château de Tours réunit, pour la première fois en France, une centaine d’images et de documents issus des archives conservées par sa fille Ana Muller et sélectionnées par Chema Conesa. Elle retrace de façon chronologique le parcours de ce photographe pour qui l’horizon a longtemps été provisoire.

Nicolás Muller reçoit son premier appareil photographique à l’âge de treize ans. Il voit immédiatement dans la photographie le pouvoir de rendre visible une certaine idée du monde et des gens. Il partage cette passion pour la photographie avec ses études de droit et de sciences politiques à l’université de Szeged. Son appareil et le sentiment de pouvoir traduire l’aventure de vivre seront les deux constantes qui façonneront à la fois l’homme et l’artiste.

« J’ai appris que la photographie peut être une arme, un document authentique de la réalité. […] Je suis devenu une personne et un photographe engagés. »

Alors qu’il est encore étudiant, il parcourt pendant quatre ans la plaine hongroise à pied, en train ou à bicyclette. De ses pérégrinations, il capte des portraits, des intérieurs de maisons, des épisodes de la vie rurale ou de celle des ouvriers qui construisent les digues de la rivière Tisza.

Ses premiers travaux sont très nettement centrés sur la ruralité de la Hongrie – qui lors du Traité de Versailles (1920) se voit amputée d’une partie importante de ses terres. L’esthétique avant-gardiste — avec la diagonalisation des images et la prise de vue en plongée ou en contreplongée — fait partie de son carnet de voyage initiatique.

Suite à l’Anschluss (l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938), la Hongrie s’aligne sur la politique allemande. Nicolás Muller décide de partir pour poursuivre sa carrière de photographe. Il arrive à Paris en 1938 et entre en contact avec d’autres artistes hongrois comme Brassaï, Robert Capa et André Kertész. Il travaille pour plusieurs organes de presse : Match, France Magazine, Regards… dans lesquels il publie notamment une série de clichés sur le monde ouvrier de Marseille et de Hongrie. On retrouve également ces thèmes lors de son court séjour au Portugal (où il est emprisonné puis expulsé sous la dictature du général Salazar).

Grâce à son père, resté en Hongrie et proche du Rotary Club International, il parvient à obtenir un visa pour Tanger. Des juifs de toute l’Europe centrale affluent alors dans cette ville. Tanger le plonge dans un état créatif presque fébrile : « Les yeux, les mains et tout mon être me démangeaient de l’envie d’aller partout pour prendre des photographies. » Il fait alors inlassablement le portrait de cette ville où il doit apprendre à apprivoiser un nouvel élément : l’excès de lumière.

Parallèlement, Nicolás Muller collabore à l’illustration de quelques livres comme Tanger por el Jalifa ou Estampas marroquis. Le Haut Commissariat d’Espagne au Maroc lui commande également des chroniques sur les villes de la « zone espagnole ».

Après un séjour de 7 ans à Tanger – qu’il qualifie d’ « années les plus heureuses de ma vie » il décide de s’installer à Madrid avec l’envie de reprendre son travail de photojournaliste, de poursuivre son exploration des régions espagnoles, d’exposer et de publier ses ouvrages.

Son studio madrilène se fait connaître.Il fréquente les écrivains, les philosophes et les poètes du légendaire Café Gijón et ceux de la Revista d’Occidente. Ainsi, il prend part activement à la vie clandestine de l’intelligentsia espagnole et réalise de nombreux portraits de ses amis artistes, comme les écrivains : Pío Baroja, Camilo José Cela, Eugeni d’Ors ou Ramón Pérez de Ayala, le pianiste Ataúlfo Argenta, ou encore le torero Manolete peu de temps avant sa mort.

Nicolás Muller prend sa retraite à l’âge de 68 ans.
Au début des années 1980, il s’installe à Andrín (aux Asturies) où il meurt en 2000.

Nicolás Muller (1913-2000), Fête du Mouloud II – Al Mawlid I [Mouloud festival I] Tangier, Morocco, 1942 © Nicolás Muller

Nicolás Muller (1913-2000), Tánger, Marruecos [Tangier, Morocco] 1942 © Nicolás Muller

Nicolás Muller (1913-2000), Marché de nattes de paille [Straw mats at the market] Tangier, Morocco, 1944 © Nicolás Muller

Nicolás Muller (1913-2000), Danseuse [Dancer] Larache, Maroc, 1942 © Nicolás Muller

Fragonard amoureux. Galant et libertin

Jean-Honoré Fragonard, "Le Colin-Maillard", vers 1754-1756, huile sur toile, 116,8 x 91,4 cm,
Toledo, toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey, © Toledo Art Museum
Fragonard amoureux. Galant et libertin
du 16 septembre 2015 au 24 janvier 2016
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  L’inspiration amoureuse parcourt l’œuvre de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Se faisant tour à tour galante, libertine, audacieusement polissonne ou au contraire ouverte à une nouvelle éthique amoureuse, celle-ci ne cesse en effet de mettre en scène la rencontre des corps et la fusion des âmes. Inaugurée au mitan du XVIIIème siècle par des bergeries nourries des derniers feux de la galanterie, cette inlassable exploration de la sensualité et du sentiment s’épanouit par la suite au travers de voies contrastées, le « Divin Frago » s’illustrant avec autant de subtilité dans des œuvres « secrètes », scènes d’alcôve à la sensualité affirmée, que dans la célébration d’un amour sincère et moralisé. Réunissant peintures, dessins et ouvrages illustrés, au contenu érotique parfois explicite, l’exposition du Musée du Luxembourg met pour la première fois en lumière l’œuvre de Fragonard à travers ce prisme amoureux, la resituant à la croisée des préoccupations esthétiques et morales du siècle des Lumières.


Jean-Honoré Fragonard, "Le Verrou", vers 1777-1778, huile sur toile, 74 x 94 cm,
 Paris, musée du Louvre, département des Peintures, © Photo Rmn-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet

Jean-Honoré Fragonard, "L'Enjeu perdu ou Le Baiser gagné", vers 1759-1760, huile sur toile, 48,3 x 63,5 cm, New York, 
The Metropolitan Museum, don de Jessie Woolworth Donahue, 1956, © The Metropolitan Museum of Art, dist. Rmn-Grand Palais / image of the MMA

Jean-Honoré Fragonard, "La Résistance inutile", vers 1770-1773, huile sur toile, 45 x 60 cm,
 Stockholm, Nationalmuseum, © Nationalmuseum, Stockholm

«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard