mardi 28 août 2012

Delacroix et l’aube de l’Orientalisme, Domaine de Chantilly

Delacroix et l’aube de l’Orientalisme
du 29 septembre 2012 au 7 janvier 2013
Salle du Jeu de Paume

  L’Orientalisme est un des temps forts des collections du musée Condé.
  Second musée de France pour la peinture ancienne, il conserve de nombreuses œuvres orientalistes : vingt-deux tableaux, plus d’une centaine de dessins, acquis par le duc d’Aumale. Fils du roi Louis-Philippe, il combattit et vécut en Algérie dont il fut le gouverneur général en 1848.
  Delacroix est représenté à Chantilly par plusieurs tableaux orientalistes et par son extraordinaire album de voyage au Maroc (1832). De nombreux autres artistes, célèbres à leur époque, côtoieront les œuvres du grand maître sur les cimaises : Decamps, Marilhat, Dauzats, Vernet, Fromentin, etc.
   Le propos de cette exposition est de s’intéresser aux débuts de l’Orientalisme, d’explorer la naissance de ce mouvement et de mieux comprendre ces premiers artistes qui portèrent leur regard au-delà de l’Europe. La période étudiée coïncide ainsi avec la Monarchie de Juillet, régime de Louis-Philippe, père du duc d’Aumale, donateur de Chantilly à l’Institut de France.

Rue des Voleurs, Mathias Enard

°°°
Quatrième de couverture
  C’est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d’épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d’espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l’âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C’est avec elle qu’il va “fauter”, une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.
  Commence alors une dérive qui l’amènera à servir les textes – et les morts – de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l’amour et les projets d’exil.
  Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l’auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l’heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s’embrase, l’Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l’énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d’un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d’improbables apaisements, dans un avenir d’avance confisqué, qu’éclairent pourtant la compagnie des livres, l’amour de l’écrit et l’affirmation d’un humanisme arabe.

  Mathias Enard est l’auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003 prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l’Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre A cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgard Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Extrait  
  Je me suis accroché au visage de Judit. Elle m’avait promis qu’elle repasserait par Tanger au retour, dans cinq jours, qu’elle m’écrirait des mails pour me raconter son voyage. Le rêve terrifiant s’effaçait peu à peu avec le souvenir de Judit. Je les aurais bien accompagnées à Marrakech, je n’y étais jamais allé. C’était étrange de penser qu’elles allaient mieux connaître mon pays que moi. Mais était-ce vraiment mon pays ? Mon pays c’était Tanger, c’est du moins ce que je croyais ; mais au fond, j’avais pu m’en rendre compte dans l’après-midi, le Tanger de Judit ne coïncidait pas avec le mien. Elle voyait la ville internationale, espagnole, français, américaine ; elle connaissait Paul Bowles, Tennessee Williams ou William Burroughs, autant d’auteurs dont les noms, lointains, m’évoquaient vaguement quelque chose, mais dont j’ignorais tout. Même Mohamed Choukri, figure tangéroise, je voyais de qui il s’agissait, mais je n’en avais bien sûr jamais lu une ligne. J’ai été très surpris d’apprendre qu’on étudiait ses romans en littérature arabe moderne à l’université de Barcelone. En parlant avec Judit de Tanger, j’avais l’impression d’évoquer une ville différente, deux images, deux territoires étrangers liés par un même nom, une erreur d’homophonie. Sans doute Tanger n’était ni l’une ni l’autre, ni les souvenirs des temps révolus de la ville internationale, ni la banlieue, ni Tanger Med ou la zone franche. Toujours est-il qu’avec Judit et Elena, en me promenant tout l’après-midi et bonne partie de la soirée, après leur être pratiquement tombé dessus par hasard à deux cents mètres de leur hôtel, mon paquet sous le bras, j’avais l’étrange sensation d’être possédé. Finalement c’était Judit qui m’expliquait l’histoire de la vielle ville, par exemple ; c’était elle qui savait, qui cherchait des lieux, des traces, des souvenirs ; c’est elle, enfin, qui m’a offert un exemplaire en arabe du Pain nu de Choukri, dans une librairie au hasard de la promenade. J’essayais de montrer que je savais des choses, moi aussi ; j’essayais d’être drôle, au moins, d’avoir l’air intelligent, mais le peu d’agilité de mon français à l’oral et son ignorance totale du marocain me rendaient pataud, un peu brutal, sans nuances ; j’avais l’impression de passer parfois franchement pour un débile. Alors je m’évertuais à essayer de communiquer en arabe classique, là je pouvais briller, mais même si elle comprenait plutôt pas mal et prononçait très bien, j’avais un peu la sensation de parler comme un journaliste de radio ou un prêcheur du vendredi, ce qui retirait à mes blagues tout naturel et spontanéité. Essayez d’être marrant et séduisant en arabe littéraire, c’est pas du tout cuit, je vous assure ; on croit toujours que vous êtes sur le point d’annoncer une nouvelle catastrophe en Palestine ou de commencer un verset du Coran. Actes Sud

Sir John Lavery (1856-1941), My Studio Door, Tangier

dimanche 26 août 2012

Le bonheur conjugal, Tahar Ben Jelloun

« La défaite commence à partir du moment où l'adversaire parvient à vous faire douter de
vous-même jusqu'à ce que vous vous sentiez coupable et soyez prêt à agir selon sa volonté, 
à vous plier à ses exigences. »

Quatrième de couverture
  Casablanca, début des années 2000. Un peintre, au sommet de sa gloire, se retrouve du jour au lendemain cloué dans un fauteuil roulant, paralysé par une attaque cérébrale. Sa carrière est brisée et sa vie brillante, faite d'expositions, de voyages et de liberté, foudroyée.
  Muré dans la maladie, il rumine sa défaite, persuadé que son mariage est responsable de son effondrement. Aussi décide-t-il, pour échapper à la dépression qui le guette, d'écrire en secret un livre qui racontera l'enfer de son couple. Un travail d'auto-analyse qui l'aidera à trouver le courage de se libérer de sa relation perverse et destructrice. Mais sa femme découvre le manuscrit caché dans un coffre de l'atelier et décide de livrer sa version des faits, répondant point par point aux accusations de son mari.
  Qu'est-ce que le bonheur conjugal dans une société où le mariage est une institution ? Souvent rien d'autre qu'une façade, une illusion entretenue par lâcheté ou respect des convenances. C'est ce que raconte ce roman en confrontant deux versants d'une même histoire.

Tahar Ben Jelloun est né à Fès en 1944. Il a obtenu le prix Goncourt en 1987 pour La Nuit sacrée. Il est l’auteur aux Éditions Gallimard de romans — parmi lesquels Partir, Sur ma mère et Au pays — de récits — Jean Genet, menteur sublime et Par le feu — et d’un recueil de poèmes : Que la blessure se ferme.

Extrait
  Vers minuit, après avoir fait tous les efforts possibles pour dissimuler à sa femme cette hostilité, il la retrouva cachée dans un coin, qui pleurait. Il sécha ses larmes et la consola. Avait-elle entendu les médisances de sa tante, ou était-ce le fait de quitter ses parents pour partir fonder une famille avec lui qui la bouleversait soudain ? Le peintre songea au mariage de sa sœur où tout le monde pleurait parce que son mari était venu l’enlever définitivement. C’était il y avait longtemps à Fès, un mariage dans le pur respect de ces traditions que vénérait sa tante. Les familles s’unissaient entre elles. Tout se réglait à demi-mot ; chacun connaissait par cœur son rôle et la pièce ne pouvait pas être ratée puisque tout était prévu, le rituel se déroulait sans embûches, les familles étaient entre elles, pas de mauvaise surprise, pas de discours déplacé ou de faute de goût. Au moindre faut pas, il y avait toujours quelqu’un pour intervenir et rétablir l’équilibre de la fête.
  Aujourd’hui, il savait très bien pourquoi ce soir-là sa femme s’était mise à pleurer et n’avait pu lui répondre. L’attitude des deux familles avait ravivé un sentiment de rejet qu’elle croyait avoir dépassé depuis qu’elle vivait avec le peintre. Les souvenirs des insupportables humiliations dont elle avait été victime dans son enfance parce qu’elle était de condition modeste lui revenaient, comme une blessure secrète qui se rouvrait d’un coup.
  Il se dit qu’il aurait dû mieux la défendre. Préparer le terrain avant le mariage. Lui dire qu’il l’aimait quelle que soit l’opinion de leurs familles, dont il se contrefichait. Il aurait pu facilement lui prouver que leur amour était plus fort que n’importe quel incident de parcours. Mais il n’avait pas pris cette précaution, pensant que son amour était si évident,  visible, et qu’il ferait taire les mauvaises langues. Ce mariage, c’était comme crier son amour sur les toits, hurler à qui voulait l’entendre son attachement à cette fille du bled, et dire publiquement sa fierté d’avoir défié toute une classe sociale.
  Seul dans les rues, les poings dans les poches, il remâchait leurs histoires et cherchait en vain le moyen de faire cesser leurs disputes, et retrouver l’essence même de l’amour qu’ils se portaient.
Gallimard

* Roger Bezombes (1913- 1994) Les désenchantées, 1939, Salon d’Automne de 1940
 Huile sur bois – 167 x 150 Narbonne, Musée d’art et d’histoire  Photo : Musée de Narbonne *
* Né à Paris en 1913, Roger Bezombes fut un peintre très fécond aux multiples talents, réalisant aussi bien des peintures murales et décorations monumentales que des cartons de tapisseries ou illustrations de livres. Sa prodigieuse activité fut récompensée par de nombreux prix. Nombre de ses œuvres ont figuré dans des expositions internationales et sont maintenant dans des musées. Après avoir obtenu le Prix de Rome en 1936, il est lauréat de la Bourse Nationale de l'Etat grâce à laquelle il va pouvoir voyager à travers le Maghreb, sur les traces de Delacroix. Il embarque pour le Maroc le 3 septembre 1937 où il parcourut de nombreuses villes pendant plusieurs mois. Il fut tellement séduit et ébloui par ce pays qu'il exposa dès 1938 de nombreuses toiles et gouaches provenant de son séjour marocain. Source : Drouot

samedi 25 août 2012

Bon week-end !

Giuseppe De Nittis (1846-1884), Sul Lago
Je vous souhaite un excellent week-end,
et profitez pleinement des derniers jours de vacances...

jeudi 23 août 2012

L'Impressionnisme et la Mode, Musée d’Orsay

Albert Bartholomé (1848-1928) Dans la serre, 1881 Huile sur toile, 235 x 45 cm Paris,
 Musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
L'Impressionnisme et la Mode
du 25 septembre 2012 au 20 janvier 2013

  Soucieux de rendre compte de la vie contemporaine, l'impressionnisme a privilégié la représentation de la figure humaine dans son milieu quotidien et saisi l'homme "moderne" dans ses activités habituelles, à la ville comme à la campagne.


  Bien qu'ils ne s'attachent pas à la représentation scrupuleuse de la physionomie, du costume et de l'habit, les impressionnistes n'en rendent pas moins compte des modes et des attitudes de leur temps. Ils y parviennent par leur volonté de considérer le portrait comme l'instantané d'un homme dans son cadre familier, par leur capacité à renouveler, du double point de vue de la typologie et de la topographie, la scène de genre et surtout par leur attention à "la métamorphose journalière des choses extérieures", pour reprendre l'expression de Baudelaire.
De leurs positions esthétiques, la réalité de l'homme des années 1860-1880 et de son habit subit une incontestable transfiguration.

Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) La balançoire / The Swing, 1876 Huile sur toile, 92 x 73 cm 
Paris, Musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Édouard Manet (1832-1883) Le Balcon, 1868-69 Huile sur toile, 170 x 124,5 cm
Paris, Musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
James Tissot (dit), Jacques Joseph (1836 – 1905) Portrait du marquis et de la marquise de Miramon et de leurs enfants
1865 Huile sur toile, 177 x 217 cm Paris, Musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Ėdouard Manet (1832-1883) La Dame aux éventails, 1873 Huile sur toile, 113 x 166,5 cm Paris, 
Musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
James Tissot (dit), Jacques Joseph (1836 – 1905) Le Cercle de la Rue Royale, 1868 Huile sur toile, 2160 x 3300 cm 
Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
Claude Monet (1840-1926) Le déjeuner sur l’herbe, 1865-1866 Huile sur toile, 248,7 x 218 cm 
Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
Edgar Degas (1834-1917) Chez la modiste [The Millinery shop] Entre 1879 et 1886 Huile sur toile 100 x 110,7cm 
Chicago Art Institute Mr. and Mrs. Lewis Larned Coburn Memorial Collection © The Art Institute, Chicago

Infidèles, Abdellah Taïa

« Un arbre vient d’être coupé de la terre. Et du ciel. 
Sa chute a provoqué un tremblement des signes et des étoiles. »

Quatrième de couverture
Slima est une prostituée marocaine. Son fils Jallal est très attaché à elle. Il l'aide à attraper les hommes, les clients, les soldats d'une base militaire. Il parle et se bat à sa place. Ensemble, ils découvrent à la télévision Marilyn Monroe, en tombent amoureux et en font leur déesse protectrice. Des années 80 à la fin des années 90, nous suivons leurs deux destins en parallèle, de la ville de Salé jusqu'au Caire, de Bruxelles à Casablanca. Purs et impurs, cette mère et son fils réinventent continuellement le sens profond de leur vie mouvementée et de leur attachement pour le Maroc, fait d'amour et de haine. Etape après étape, ils redécouvrent leur religion, l'islam, et la vivent d'une manière inédite. Ils iront jusqu'au bout de cette voie. La tombe du prophète Mohammed à Médine pour elle. L'explosion sublime pour lui.

Abdellah Taïa a publié trois romans au Seuil qui sont traduits ou en cours de traduction en Espagne, Hollande, Italie, Suède, Roumanie et aux États-Unis. Il a également dirigé la publication de Lettres à un jeune Marocain (Seuil, 2009). Par ces livres et par ses prises de position publiques, à visage découvert pour défendre l’homosexualité et la liberté des personnes dans son pays, il est devenu une sorte d’icône au Maroc et dans les pays musulmans, violemment attaqué par les islamistes et encensé par les jeunes et les modernistes.

Extrait
  Je m’appelle Jallal.
 Ma mère Slima, avant la nuit, juste au tout début de la nuit, m’a initié au mystère de cette femme en feu, en flammes. Une actrice. Un être seul. Nu. Entre la terre et le ciel. En voyage. Une prophétesse. Une poétesse. Une ignorante. Une inspirée. Une dévergondée entourée d’amour. Une comédienne qui se montre trop et cache l’essentiel, une âme pure, des larmes interminables. Elle vient d'Amérique. Mais elle n'est pas seulement américaine. Elle parle anglais et, dans mes oreilles, mon cœur, c’est comme si c’était de l’arabe.
  Je n’ai pas vu d’autres films avec elle.
  Cette nuit-là, pendant que River of No Retern passait sur notre télévision, ma mère n’a pas arrêté une seule seconde de pleurer.
  Je comprenais cette identification. Il n’y a pas que le sang qui lie les êtres. Les âmes se rencontrent, se reconnaissent et se parlent même quand les mers, les océans les séparent. Elles dépassent ces barrières insignifiantes. Elles marchent sur les eaux. Volent au ciel. Discutent avec les prophètes. Récitent soudain, sans jamais les avoir appris auparavant, des poèmes sacrés, soufis, écrits il y a des siècles et des siècles. Psalmodient le Coran, la Bible et Les Mille et Une Nuits.
  Les âmes se regardent. Elles sont une.
  Ma mère, cette nuit-là, s’appelait Marilyn. Elle était mécréante comme elle. Malheureuse comme elle. Une pute. Une servante. Une déesse. Elle se cachait. River of No Retern me révélait ma mère autrement. Elle n’était pas seulement ma mère. Elle n’était pas qu’à moi. Elle était la mère des autres aussi. La mère, la sœur jumelle de Marilyn.
  Le cinéma a été inventé pour cela. Nous faire voir nos mère sous un nouveau jour. Les avoir pour toujours. Les partager sans aucune réticence. Sans aucune jalousie.
  Je m’appelle Jallal.
  Je suis le fils de Marilyn Monroe.
Editions du Seuil

lundi 20 août 2012

Martha Walter, At the Beach

Martha Walter (1875-1976), The Twins Wading

Hot Day at the Beach

Showery Afternoon

Gossiping on the Beach

At the Beach

Kamal Jann, Dominique Eddé


Quatrième de couverture
Été 2010. C'est la guerre au sein de la famille Jann. Avocat d'affaires à Manhattan, Kamal a une revanche à prendre sur son oncle, le chef des services de renseignements syriens qui fit tuer ses parents, trente ans plus tôt, lors des massacres de Hama. Il est condamné, en même temps, à pactiser avec la CIA pour sauver son jeune frère islamiste sur le point de commettre un attentat. Manipulés, de bout en bout, par les services secrets arabes et occidentaux, tous les membres du clan sont piégés, dont les femmes qui dans l'ombre jouent un rôle décisif et sans pitié.
Mosaïque impressionnante de lieux et de personnages, Kamal Jann est la chorégraphie puissamment orchestrée du cynisme, de la violence et de la trahison. Sans doute le premier roman du Moyen-Orient à mettre en scène de façon implacable les rouages de la répression et la relation toute-puissante entre familles et pouvoir. La descendance maudite des Jann est condamnée, tels les Atrides, à tuer et s'entretuer, tandis que le peuple, écrasé, commence à rêver de liberté.
Dominique Eddé, née à Beyrouth, a entre autres publié Pourquoi il fait si sombre ?, Cerf-volant, et Le crime de Jean Genet.

Extrait
Vue du dehors, Damas est un livre fermé, à la reliure ordinaire. Une ville voilée. Il faut, pour la voir un peu, l’entrevoir beaucoup. Pousser une porte après l’autre. S’assoir. Attendre. Entrer en captivité. Le temps se divise au fur et à mesure. Celui qui est en ébullition fabrique et dépose son marc, comme du café, au fond des cours. Les mémoires trempent, quoi qu’il arrive, dans ce dépôt qui survit, toutes heures confondues, au passage des jours. A Damas, tout se tient et s’emboîte, le vide et le plein, le noir et le blanc, la nacre et le bois. Il y a partout un endroit qui fuit : de la vie à la mort, de la mort à la vie. L’une renforçant l’autre. Le ciel rosit le matin, rougit le soir. Mais dans cette ville , les couleurs sont rares. Les gens, pour la plupart, sont habillés de noir, de gris, de bleu marine ; les jeunes femmes voilées de blanc. Le deuil est dans l’air. Le mystère aussi. Même le bruit, dans les cours intérieures, est enveloppé de silence. Il ne tient pas, il fait irruption, puis tombe. Damas, c’est quand le soleil décline qu’on la voit le mieux. Il faut entrer dans les maisons pour s’assoir dehors. Les rues sont des coulisses. Le théâtre est dedans, niché sous les plafonds qui tiennent le rôle du ciel. Le ciel, le vrai, existe à peine. C’est de l’horizon en cage. Un fantôme. Il est rare que les têtes se lèvent et le regardent en face. Les yeux sont prudents : ils vont et viennent à la basse altitude des corps et des fenêtres. Ce sont les arbres,  les minarets, les plantes qui tiennent lieu de sommet. Quand la lune apparaît, le ciel ne grandit pas, il s’étoffe. Il gagne une broche. Privée de mer, coupée du ciel, Damas vue de haut – depuis Kassioun – est un échantillon des deux gisants au sol. Une mare d’étoiles. A présent, une nouvelle peau sans âme prend possession de la ville. Des immeubles inanimés, clinquants, aveugles. A leur pied, le reptile brûlant des voitures et le bruit des klaxons qui tue le bruit des voix. Al-Cham, le grain de beauté, risque sa peau, à chaque coin de rue. Mada aime par-dessus tout les rigoles de la lumières. Les lignes brisées. Son or pris au piège des murs et des volets. Elle aime le règne simultané du soleil et de l’obscurité. Ensemble, ils donnent à l’ombre le statut d’un jardin. Son heure préférée, c’est juste avant le soir, quand, d’un bout à l’autre de la cour rectangulaire avec sa fontaine rayée ocre et blanc et son couple de vieux divans aux pieds pourris, l’eau renversée à grand seaux court dans tous les tous après l’écume noire, semant derrière ses petits restes limpides qui tardent à sécher parce que la pierre est creuse.  Albin Michel

Doussault Charles (1814-1880), La Porte d'Orient à Damas. (C) MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais  Louis Deschamps

dimanche 19 août 2012

Edward Cucuel, An Outing by Boat

Edward Cucuel (1875-1954), Green Dressed

The Yellow Parasol

Seated Woman on a Railing

On the Dock

On a Pier

Evening by the Lake

After the Crossing

An Outing by Boat

In the Sun

Badende Mädchen am Starnberger

Bathers

Sommer Regatta

Canicule...

Georges Pavec (fin 19e siècle-début 20e siècle),  Brunir
(C) MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais / Adélaïde Beaudoin
Espérer une petite brise marine pour vaincre la chaleur...
Je vous souhaite un agréable dimanche! 

mercredi 15 août 2012

mardi 14 août 2012

La Promesse d'Annah, Mohed Altrad

o°o°o
  Conte d'amour moderne marqué au fer rouge par les grands soubresauts de l'histoire du Bassin méditerranéen, La Promesse d'Annah est le récit d'une passion...  naissante, où se mêlent désir et séduction, doutes et exaltation. Lié par une promesse ancestrale, un même couple se réincarne au fil des siècles, depuis les plateaux de Judée en 1400 av J-C jusqu'à un checkpoint isolé de Cisjordanie. Il est juif, elle est musulmane, ou inversement, et leur foi respective, leur conception même du sentiment amoureux constituent des empêchements permanents à leur union. Y a-t-il à l'origine de ces obstacles un dessein du Très-Haut, résolu à ce que les deux existences restent à jamais séparées ? Ou est-ce plutôt que la promesse et le renoncement sont deux constituantes immuables de l'amour ?
  Porté par les correspondances secrètes et les fables guerrières, le troisième roman de Mohed Altrad interroge l'Histoire comme possible territoire de fiction et de romance, et unit l'aspect universel du mythe à la condition de l'individu. Prouvant que l'amour, loin d'être une réalité éternelle, est d'abord une construction culturelle et historique.

Mohed Altrad, d’origine syrienne, vit en France depuis de nombreuses années. Chez Actes Sud ont paru Badawi (2002, Babel n° 1058) et L’Hypothèse de Dieu (2006).

Extrait

Mon âme est bouleversée. J’aurais voulu être
Une branche de myrte pour que mon parfum t’enveloppe
J’aurais voulu avoir des mots langoureux pour te charmer,
Mais rien ne me venait, sinon des larmes qui coulaient sur mes joues.
D’une voix claire, comme si tu chantais auprès du feu
Ta voix frémissante a fait vibrer mon cœur et ma mélancolie.
Plus jamais les doutes ne pourront m’assaillir
Mais l’envie de rire, de pleurer, de crier, de disparaître.
J’étais le grand vent du sud qui dévale le djebel
Pour hurler sa force et son bonheur.
~
 Les eaux du Tigre coulent paisiblement, scintillant dans la lueur pâle d’une lune un peu froide. Elles s’en viennent de Mossoul, au-delà des méandres, en amont, et descendent jusqu’à Bassora, le dernier port avant la mer, la cité des ahl al-hadith.
  Le Tigre. Le fleuve irrigant Bagdad comme une artère gonflée de vie. Par lui s’effectue le commerce. Par lui est assurée la circulation des biens et des personnes. Par lui entrent et sortent quotidiennement les denrées, le blé surtout, objet de tant de désastreuses spéculations qui affament le peuple ;  mais aussi les produits des ateliers, des manufactures de tissus, comme les œuvres de l’esprit et les hommes. Par lui arrivent tous les hommes… Toute cette immense population agitée d’intérêts divers qui pousse dans les rues, dans les hammams, dans les souks, dans les demeures privées, les mosquées et les palais enclos derrière leurs murs, sans cesse en train de disputer, de s’affronter, versatile et violente. Tous ces maraîchers, barcassiers, artisans, cardeurs, mais aussi poètes, savants, canonistes ou banquiers, venus de tous les horizons, du Khorassan à l’Egypte, de la Syrie au Yémen, sans compter les juifs, les chrétiens et tous les idolâtres un peu louches qui rôdent dans ses faubourgs. C’est pour cela que Jalal aime cette ville, cité incomparable, la plus grande et la plus belle.
  Pourtant, Bagdad a à peine plus d’un siècle d’existence. Sa croissance a été une poussée anarchique, faite d’absorptions successives de faubourgs autour de la ville ronde, Madinat al-Salam, la cité de la paix, tel qu’est son vrai nom. Ce n’est probablement pas le projet du premier Abbasside, mais il en est advenu ainsi.

mardi 7 août 2012

Mes aventures marocaines, Christian Houel

« Ô vieux Maroc! Paradis à jamais perdu! » 

Quatrième de couverture

  En 1904, Christian Houel est le premier journaliste à entrer au Maroc, alors interdit. Habillé en Arabe, parlant le marocain, sans préjugés, il sillonne le pays, passant d’un camp à l’autre, en pleine guerre civile, face aux troupes françaises.

  Mes aventures marocaines racontent comment les Français ont mis la main sur le Maroc de 1907 à 1912 et la naissance de Casablanca, ville pionnière et véritable « Far West » français.

  Publié pour la première fois en 1954 et épuisé depuis, ce livre recherché est la « bible » de ceux qui s’intéressent à l’histoire du Maroc et à l’aventure coloniale du Protectorat.



Extrait
  Dans ce bon vieux Maroc où je m’étais livré à des reportages qui dépassaient la commune mesure, poussé par l’attrait qu’avaient sur moi les choses et les gens, je risquais volontiers ma personne pour goûter dans leur plénitude la douceur et la candeur de l’Islam. Je  me plaisais à les peindre, ces gens, à les faire parler, à faire participer les lecteurs au plaisir que j’avais de vivre avec eux.
  Ma visite à la mehalla du commandant Brémond n’était qu’un intermède. Je projetais, en effet, de me rendre à Meknès en traversant les tribus rebelles. J’espérais découvrir un nouvel aspect de l’état d’âme des Marocains, si ébranlés par la venue des chrétiens.
  Leurs réactions ne diffèrent point des nôtres quand nous subissons l’invasion des étrangers.
  Nous sommes devenus Romains après combien de batailles, lors de la conquête des Gaules par les légions de César. La dernière guerre nous a révélé que la moitié des Français eussent accepté de devenir Boches pour avoir la paix.  La résistance des Marocains ressortit au besoin de défense presque  animal de tout être, comme la soumission par la force ressortit à son instinct de conservation.
  L’établissement postérieur d’une collaboration, entre vainqueurs et vaincus, dépend des principes de justice et d’égalité qu’importent les premiers, en tenant compte des notions qu’ont les vaincus eux-mêmes de cette justice et de cette égalité.
  Or, c’est le pouvoir métropolitain, en France, qui s’est toujours chargé de la législation de nos protectorats sans prendre l’avis des intéressés, sans s’inquiéter des répercussions que peuvent avoir sur les populations récemment soumises des décrets pas toujours inspirés par le désir d’une collaboration réciproque.
  Lyautey a lutté jusqu’au dernier jour de son proconsulat contre certaines conceptions de la métropole. Le maintien du sultan était la promesse que non seulement rien ne serait changé ni dans les mœurs, ni dans les coutumes, mais que nous effacerions, par l’égalité des intérêts et du prestige, l’inégalité des armes. Il n’est pas bien sûr que les hauts fonctionnaires chargés de l’administration du protectorat se soient résignés à traiter de pair, fraternellement, les fonctionnaires chérifiens. Ils se considèrent supérieurs, par leurs traitements, par leurs capacités intellectuelles, par leur titre de représentants de la puissance qui a vaincu. Ce rappel constant de leur suréminence, si je peux dire, n’a peut-être pas d’effet trop nocif, ni trop immédiat, sur les masses. Elle en a sur l’élite que nous avons formée à nos écoles et à qui nous avons inculqué nos propres principes d’égalité.

Léon Belly (1827-1877), Pèlerins allant à La Mecque 1861 Huile sur toileH. 161 ; L. 242 cm
© RMN Musée d'Orsay 
«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard