mardi 3 février 2009

Ce que le jour doit à la nuit

"On ne prend conscience de l’irréparable
que lorsqu’il est commis."

C’est en Algérie cette fois que Yasmina Khadra plante le décor de son dernier roman Ce que le jour doit à la nuit. L'histoire débute quelques années avant la seconde guerre mondiale, et c'est à travers les beaux yeux bleus de Younes, que Yasmina Khadra va nous faire vivre cette période charnière de l’histoire de l’Algérie.
Après un incendie qui a détruit les terres de ses parents, Younes est confié à son oncle, un pharmacien aisé installé à Oran. Adopté et rebaptisé Jonas par sa tante, le jeune garçon va échapper à la misère dans laquelle se débattent les siens et grandir dans les beaux quartiers européens de la ville. Quelques temps plus tard, sa famille d’adoption migre à Rio Salado, c’est dans cette petite ville que Jonas va grandir, faire ses études, évoluer dans l'insouciance au milieu d'un groupe de jeunes adolescents, fils de colons pour la plupart. Des amitiés vont naître, fortes, indestructibles, puis va arriver Emilie, l’amour de sa vie.
L’Algérie française connaît ses premières fractures et les prémisses de la guerre d’indépendance enlaidissent le paysage. Les premières fermes brûlent, les vengeances menacent et les premiers départs vers la France se précipitent. Ecartelé entre ses amis français et ses origines arabes, Jonas restera fidèle et loyal sans jamais prendre parti. Personnage complexe, toujours effacé et en retrait, il subit les évènements sans vouloir les affronter au risque parfois d’y perdre de son âme.
J’aime l’écriture de Yasmina Khadra et si certains critiques littéraires trouvent son style vieillot, c'est pour le bonheur de ceux qui, comme moi, aiment l'écriture recherchée, les métaphores, les associations d'images et les tournures subtiles. Un très beau roman que j'ai pris plaisir à lire et que j'encourage vivement à découvrir.
~~~~~~
Extrait
"J'étais ébloui. Né au cœur des champs, je retrouvais un à un mes repères d'antan, l'odeur des labours et le silence des tertres. Je renaissais dans ma peau de paysan, heureux de constater que mes habits de citadin n'avaient pas dénaturé mon âme. Si la ville était une illusion, la campagne serait une émotion sans cesse grandissante; chaque jour qui s'y lève rappelle l'aube de l'humanité, chaque soir s'y amène comme une paix définitive. J'ai aimé Rio d'emblée. C'était un pays de grâce. On aurait juré que les dieux et les titans avaient trouvé en ces lieux de l'apaisement. Tout paraissait rasséréné, délivré de ses vieux démons. Et la nuit lorsque les chacals venaient chahuter le sommeil des hommes, ils donnaient envie de les suivre au fin fond des forêts. Il m'arrivait parfois de sortir sur le balcon pour tenter d'entrevoir leurs silhouettes furtives parmi les feuillages frisés des vignobles. Je m'oubliais des heures durant à tendre l'oreille aux moindres bruissements et à contempler la lune, à l'effleurer de mes cils...
...Puis il y eut Emilie.
La première fois que je l'avais vue, elle était assise dans la porte cochère de notre pharmacie, la tête dans le capuchon de son manteau, les doigts triturant les lacets de ses bottines. C'était une belle petite fille aux yeux craintifs, d'un noir minéral. Je l'aurais volontiers prise pour un ange tombé du ciel si sa frimousse, d'une pâleur marmoréenne, ne portait l'empreinte d'une méchante maladie."

7 commentaires:

  1. Je n'ai jamais rien lu de lui, mais la façon dont tu en parles et l'extrait présenté donnent très envie.

    RépondreSupprimer
  2. De Yasmina Khadra, c'est le 4ème roman que je lis, et j'aime vraiment l'écriture de cet écrivain.
    Je suis contente de te donner l'envie de lire!
    Bises

    RépondreSupprimer
  3. J'aime beaucoup cet auteur. "Ce que le jour doit à la nuit" est dans ma PAL et dans mon challenge ABC 2009

    RépondreSupprimer
  4. J'aime cette façon d'écrire... Ces lignes font naître en plus d'images des sentiments. Ni vieillotte, ni ampoulée, une écriture de l'âme, plutôt: Bien envie de le lire! Le titre en lui-même est très évocateur... Merci pour cette découverte:)))
    Bisous

    RépondreSupprimer
  5. Je pense que tu ne seras pas déçue, c'est vraiment de la très belle écriture!
    Bonne soirée Karine et gros bisous

    RépondreSupprimer
  6. Un auteur algérien qui a choisi la langue française pour s'exprimer. Quel bel hommage! J'aime beaucoup son écriture et je viens de lire avec un grand plaisir trois de ses oeuvres. Après "Les sirènes de Bagdad", je lirai celui-ci bien sûr!;-)

    RépondreSupprimer
  7. Un français qu'il maîtrise à merveille! Et tu ne seras pas déçue par son dernier roman, un petit bijou!!!
    Alors bonne soirée Monik et bonne lecture!

    RépondreSupprimer

«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard