mardi 1 juin 2010

Portrait d'une négresse, Marie-Guillemine Benoist

Marie-Guillemine Benoist (1768-1826), Portrait d'une négresse
(C) RMN / Gérard Blot. Musée du Louvre, Paris
Cliquez sur le portrait pour voir la vidéo
***
Ce splendide portrait représente à l’évidence une personne réelle, bien qu’on ne sache rien du modèle. L’artiste n’a pas fait connaître le nom de cette femme à la tête drapée dans un fichu de servante des Antilles.

Cette femme noire se présente dans une situation non conforme à sa condition de domestique, qui était probablement même celle d’une esclave avant 1794. Le regard directement tourné vers le spectateur, assise dans un fauteuil à médaillon drapé d’un riche tissu, elle occupe la place traditionnelle d’une femme blanche.

La pose reprend celle de plusieurs portraits de femmes de la haute société peints par David. Elle s’apparente à celle de Madame Récamier sur le célèbre portrait que David compose en cette même année 1800. Le style du maître transparaît aussi dans le fond dépouillé, dans l’usage minimal des accessoires – fauteuil, draperie et vêtement -, comme dans le modelé sculptural des formes, l’éclairage direct et les couleurs tranchées.

L’œuvre fait ressortir la différence raciale en rendant avec exactitude la pigmentation noire de la peau rehaussée par le fond clair et l’éclatant tissu blanc, la texture des cheveux et la forme particulière des yeux, du nez et des lèvres. Mais l’artiste réussit à rendre beau un sujet que l’époque considérait comme laid.

Le regard intrigue par son insistance; est-ce le spectateur ou l’artiste qui la peint que cette femme entraîne dans cette confrontation? L’aisance gracieuse et l’harmonie des couleurs apprises de Mme Vigée-Lebrun imprègnent aussi ce portrait d’une empathie qui suggère une compréhension par l’artiste de son modèle. Son anonymat a permis de la dénuder, à la manière de la Fornarina de Raphaël. Mais l’artiste rend sensible la situation psychologique vulnérable et résignée, de cette femme dans cet univers qui lui est étranger.

L’œuvre pourrait ainsi avoir deux objectifs apparemment contradictoires : présenter cette femme noire comme un objet de possession, un bien acquis parmi des objets de luxe, mais aussi, au-delà de la différence raciale, la faire reconnaître comme un être doué de sensibilité.
Source et suite de l'article L'histoire sur l'image

13 commentaires:

  1. Incroyable! j'adore cette peinture et je pensais justement faire un billet à propos. Mais comme tu l'as fait, et si bien, je te laisse la parole!
    Grosses bises à tous.
    Kenza.

    RépondreSupprimer
  2. Une superbe analyse d'un magnifique portrait de femme !
    Le thème m'intéresse beaucoup, et j'imagine parfaitement les réactions de l'époque face à la pose majestueuse d'une femme...noire.

    Une artiste dont je découvre avec intérêt le parcours par la même occasion.

    Merci, Kenza.

    RépondreSupprimer
  3. Extraordinaire cet portrait, Madame.

    Bisous.

    RépondreSupprimer
  4. Je connaissais ce portrait magnifique mais je ne savais pas le nom de l'artiste. C'est chose faite, merci!
    Cette femme me fait penser à une autre aperçue dans le très beau film de Giraudeau "Les caprices d'un fleuve", je crois que c'était la compagne de l'ami de Bernard Giraudeau, dans le film.
    Bonne journée Kenza

    RépondreSupprimer
  5. Un magnifique portrait commenté également par Frédéric Taddeï dans l'excellente émission D'Art D'Art de France 2.

    RépondreSupprimer
  6. J'aime beaucoup cette toile .
    Quelle noblesse , quelle dignité tranquille dans ce regard !
    Votre texte me plait beaucoup .

    RépondreSupprimer
  7. Magnifique texte, Kenza, pour définir une très belle toile. Magnifique portrait de tendresse, désir, réalité (autre la réalité de l'esclavage et/ou de la possession); le regard du peintre et de la femme au portrait témoignent tout simplement de la pure et réelle beauté. Merci de ce petit grand voyage qui nous permet de découvrir de nouveaux horizons noirs.

    RépondreSupprimer
  8. Re-bonjour;
    Je vous ai bien envoyé un mail Samedi dernier à l'adresse indiquée sur votre blog. C'est pourquoi je pensais que l'ayant reçu, vous ne souhaitiez pas répondre.
    La fonction commentaires a tendance à dysfonctionner sur mes blogs, voire ne fonctionne plus du tout sur mon Blog Vintage. Et ce, pour une raison que j'ignore.
    Si donc, j'ai pu vous paraître manquer de courtoisie à vous et à vos amis, je m'en excuse.
    Je vous souhaite une bonne continuation.

    Art et Vintage

    RépondreSupprimer
  9. Voilà un portrait absolument magnifique, où cette femme s'impose au regard , où elle semble nous dire qu'elle domine la situation, même si à l'époque, elle n'est pas à sa place dans ces atours et cette pose réservée aux femmes de la haute société...blanche !;
    elle règne sous l'oeil de ce peintre que je découvre ,
    merci à toi Kenza

    RépondreSupprimer
  10. Encore une belle découverte, l'histoire de ce tableau et la vie de cette femme peintre sont passionnantes. Quel superbe portrait d'une femme brimée par une femme dont la vie n'avait pas été facile, belle œuvre, beau courage.
    Bonne journée.
    Marisol

    RépondreSupprimer
  11. quel magnifique portrait de femme -cette beauté est sans faille - j'avais vu le commentaire fait par Taddéi ...on peu imaginer les réactions de toute une frange de la population face à une "négresse" peinte aussi majestueuse et infiniment classe... elle n'a pas peur !
    merci Kenza pour ce beau billet
    Solène

    RépondreSupprimer
  12. Je n'avais pas visité votre blog depuis assez longtemps et je découvre de nombreuses merveilles !
    En parcourant vos pages , c'est un véritable musée que l'on visite !

    RépondreSupprimer

«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard