mercredi 6 mai 2009

Henri Bosco, Nzaha

Promenade dans le jardin du harem ( la favorite du sultan)
***
Mais Fès, nous l'avons dit, n'a pas que ce visage inhospitalier. Car on y chante et chants courtois. Il est des jours pour l'émancipation, quand (c'est avril) partent en caravanes des amateurs de plaisirs champêtres, ravis ( et la brise souffle), d'entre ce bruit de vent au bruit des eaux se mêler autour de la ville, où fleurissent dans les roseaux vivaces mille petits jardins à demi sauvages. C'est là qu'ils vont. On appelle ces promenades des "nzaha" de printemps. Une file de mules emporte le maître du verger, ses amis, tapis et coussins, provisions de bouche, ustensiles, tentes blanches brodées, instruments de musique, camp volant pour passer la journée à son aise et jouir d'une nuit paisible au milieu des arbres fruitiers dont les fleurs embaument le miel et la résine fraîche. Et c'est là que bientôt, appelant la parole, le rebec invite le luth et le luth le rebec, à la musique, où tout à coup tendent cordes et coeurs qu'inspirent un ciel délicat, l'odeur du jardin, le plaisir de la compagnie, et cet air déjà campagnard qui enivre facilement les citadins. Ils chantent, chants d'amour d'abord, naturels en avril, aux lèvres:

Qui n'a d'amour goûté délices
D'amour ne connaît l'amertume.
La nuit tombe; emportez les lampes indiscrètes.
Son visage éclaire la nuit. La lune monte...

Puis la douleur se lève:

Les cheveux dénoués, pleurent, gémissent,
douloureusement, ô mon âme,
les filles du Destin.
Arme-toi de courage...
O passé! douceur! ô douceur!...

Facilement l'esprit des chanteurs de jardin, la nuit aidant, monte du profane au sacré, et d'un amour mortel à un désir mystique, car la race qui chante là est, même en ses plaisirs, hantée de Dieu:

Elle m'a quitté l'infidèle amante,
Mais tout passe ici-bas:
L'eau, la verdure et la beauté.
Prends congé de ce monde.
Sais-tu si tu vivras du crépuscule à l'aube?
Lui seul est le Vivant,
lui seul existe.
Alhamdou Lillahi!

Ils chantent sans souci de l'heure, pour prolonger la nuit; et quelquesfois, ils ne s'assoupissent qu'un moment avant l'aube pour peu de temps. Car alors, du haut de la ville, des tours, des minarets, descend et se propage la Convocation du matin; l'Oraison de l'aurore, Es-sebah: "la prière vaut mieux que le sommeil..."
***
Texte: Henri Bosco 1888- 1976, Extrait Des sables à la mer

10 commentaires:

  1. Les senteurs, les sons, les lumières, et le toucher du vent, puis l'amour, la passion, la méditation... Les plaisirs du corps puis les sensations de l'âme sont merveilleusement rendus dans ce texte magnifique...Quel beau et riche moment tu nous offres...

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  2. PS: j'ai aussi laissé un commentaire pour le précédent post. Je n'ai pas eu le temps de passer hier. Bises.

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  3. Je suis tellement récompensée par tes commentaires qui me disent combien tu apprécies avec moi ces textes choisis!
    C'est un réel plaisir partagé!!!
    Bises

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  4. MERCI Kenza.
    Quel voyage.
    J'ai toujours été fascinée, et ce depuis très jeune, par la vie des harems et des pays où ils existaient.
    Cette toile nous transmet un art de vivre et une ambiance.
    Ce n'est pas toujours facile de décrire ce que l'on ressent face à un oeuvre d'art.

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  5. Ca me réjouit toujours de croiser des personnes sensibles à ce qui me passionne! Et je vois que nous avons beaucoup de points communs...
    Amicalement

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  6. Ah ces jolis instants de poésie que tu nous offres là Kenza !!!
    Merci ...

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  7. décidément, je ne me lasse pas de ces ambiances orientales:))) Si joliment illustrées et somptueusement racontées!!!
    Bisous

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  8. Ce texte est particulièrement beau! Je suis comme ensorcelée, envoûtée par cette période du début du siècle dernier... Peu-être ai-je vécu une autre vie à cette époque là???
    Bisous et bon week-end

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  9. Bonsoir,
    Je suis tombé par hasard sur votre blog. Je le trouve très beau. Je recherche ce livre d'Henri Bosco dont vous publiez un extrait (Des sables à la mer). J'aimerais savoir où je pourrais le trouver ce livre car j'aime beaucoup Henri Bosco qui est un vrai poète de la nature et des secrets de l'âme. J'aimerai le lire lorsqu'il parle du Maroc.

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard