jeudi 8 octobre 2009

"La Rivière aux grenades", Michel Jobert

John Singer Sargent 1856-1925,
Almina, daughter of Asher Werteimer
Tate Gallery, Londres
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« Elle, Leïla, était une femme marocaine, ployant et ressurgissant. Tout était à elle alentour, même ces hommes, abusifs et vains, qui préféraient épouser des Européennes écervelées plutôt que de placer à côté d’eux des filles de leur race, comme des égales.
Elle s’impatientait, dans sa chambre bleu turquoise, où son lit, installé dans une alcôve enluminée de frises, de rosaces et de lanternes stylisées, s’encombrait d’une vingtaine de coussins de soie, en deux tons de jaune et de bleu, sur une assise de cuirs blonds et rebondis. La vieille Zohra poussait inlassablement la porte au plein cintre outrepassé, et travaillée de couleurs avec une époustouflante minutie. Tout allait-il bien ? N’avait-elle pas besoin d’être peignée, fardée ? Respirait-elle le jasmin, l’oranger, ou la rose thé dont elle renouvelait les pétales, dans la boîte de cèdre aux compartiments ajourés ? Ces attentions d’un autre âge ne tiraient d’elle que des monosyllabes, mais elle ne pouvait s’en passer. Comme elle aimait errer les pieds nus sur la natte de jonc et de laine tressés qui disparaissait sous la couverture mauve et violette de son lit. Les cheveux dénoués, le caftan léger mais trop ample élargissant ses hanches, agitant à ses bras les multiples bracelets dont elle se dépouillait hors du palais, elle s’exaltait dans une fureur impuissante : les orangers et les daturas du patio, aperçus par les étroites fenêtres jumelées, ne lui renvoyaient qu’une immobilité hostile, que le vent ne troublait jamais. Le
guembri berbère au long manche, taillé dans une loupe de tuya ou de caroubier, si elle en avait pincé les deux cordes, n’aurait rendu qu’un son aigre, et tous ces livres occidentaux, en français et en anglais, empilés sur les tables basses aux chevalet articulés, la provoquaient de tous les souvenirs qu’elle y avait enfouis, pour elle seule. Comment pouvait-elle être si consciente et si prisonnière ? » …
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Extrait: Michel Jobert, La Rivière aux grenades (Oued Kroumane)
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Note de l’Editeur: On connaît Michel Jobert, né à Meknès en 1921, comme homme politique, ancien ministre des Affaires étrangères du président Georges Pompidou (1973), puis ministre d’Etat de François Mitterrand (1981). Ses Mémoires d’avenir ont obtenu le prix Aujourd’hui en 1974.
Prix de la Langue de France (1989), outre ses ouvrages politiques, Michel Jobert est également l’auteur de deux romans d’excellente facture: La vie d’Ella Schuster (1977) et La Rivière aux grenades (1982), souvent autobiographique…

5 commentaires:

  1. Chère Kenza, merci de nous faire découvrir une autre facette de cet homme!l'écriture est subtile et voluptueuse: Une belle découverte:)))
    (j'ai eu qq problèmes de connexion cette semaine...) Je t'embrasse très ,et te souhaite une douce nuit

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  2. Quel beau texte plein de couleurs, d'odeurs et de noms de fleurs, plantes et parfums magnifiques, un délice! Je vais me le chercher ce livre, bises Martine

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  3. @ Karine
    Je te remercie d'insiter pour passer me voir, ça me touche beaucoup, tu le sais! Je viens bientôt à Paris, je t'écris dès que j'ai une date...
    Bisous et très douce nuit Karine

    @ Martine
    Je passe ce soir pour te laisser les coordonnées, pas facile à trouver "La Rivière aux grenades"...
    Bisous et très belle soirée

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  4. Ma chère Kenza!
    Ici Sophie, celle des malheurs..
    J'étais sur mon portable,`j'avais écrit un long commentaire et plouf! tout a disparu!

    Je vais essayer de récupérer mes esprits et faire mémoire..
    Je te disais que je m'étais submergée dans le link de John Singer que tu nous proposais, là j'ai découvert des tas de choses fort intéressantes,sur son nomadisme, sur la precocité de son talent découvert par sa Maman, les études faites à Florence, à Paris...son séjour en Espagne, et que ce tableau, admirablement choisi par toi, ma chérie, respire toute la sensualité de l'Orient.. et illustre une fois de plus ce texte extrait de ce Roman..."La rivière aux grenades" Almina, et Leïla devait se ressembler étrangement... Je te disais tant d'autres choses! Tout s'est envolé.. il me reste toutefois mille et un baisers sur chacune des perles d'Amina, pour toi, Kenza!

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  5. Mais ce n'est pas bien grave! Je prépare un sujet pour demain sur lequel tu pourras te venger...
    Bisous et très douce nuit ma belle

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard