"Vers midi, revenus de nouveau dans les régions solitaires et sauvages, nous plantons la tente du déjeuner dans un lieu exquis, absolument embaumé. C'est au bas d'une fraîche vallée sans nom, où des sources jaillissent partout entre pierre moussues, où des petits ruisseaux clairs courent parmi les myosotis, les cressons et les anémones d'eau. Le ciel, maintenant tout bleu, est d'une limpididé infinie, on a l'impression des midis splendides du mois de juin à l'époque des hauts foins. Toujours pas d'arbres, rien que des tapis de fleurs; si loin que la vue s'etende, d'incroyables bigarrures sur la plaine; mais on a tellement abusé de cette expression "tapis de fleurs" pour des prairies ordinaires, qu'elle a perdu la force qu'il faudrait pour exprimer ceci: des zones absolument roses de grandes mauves larges; des marbrures blanches comme neige, qui sont des amas de marguerites; des raies magnifiquement jaunes, qui sont des trainées de boutons d'or. Jamais, dans aucun parterre, dans aucune corbeille artificielle de jardin anglais, je n'ai vu tel luxure de fleurs, tel groupement serré des mêmes espèces, donnant ensemble des couleurs si vives. Les Arabes ont dû s'inspirer de leurs prairies désertes pour composer ces tapis de haute laine, diaprés de nuances fraîches et heurtées, qui se fabriquent à Rabat et à Mogador. Et sur les collines, où la terre est plus sèche, c'est un autre genre de parure; là, c'est la région des lavandes; des lavandes si pressées, si uniformément fleuries à l'exclusion de toute autre plante que le sol est absolument violet, d'un violet cendré, d'un violet gris; on dirait ces collines recouvertes de ces peluches nouvelles aux teintes doucement atténuées, et c'est un contraste singulier avec l'éclat si franc des prairies. Quand on foule aux pieds ces lavandes, une odeur saine et si forte se dégage des tiges froissées, imprègne les vêtements, imprègne l'air. Et des milliers de papillons, de scarabées, de mouches de petits êtres ailés quelconques, sont là qui circulent, bourdonnent, se grisent de bonne odeur et de lumière... Dans nos pays plus pâles ou dans les pays tropicaux constamment énervés de chaleur, rien n'égale le resplendissement d'un tel printemps."
Pierre Loti, Au Maroc, Edition Christian Pirot, extrait page 72
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