mercredi 24 octobre 2012

L’Étoile jaune et le Croissant, Mohammed Aïssaoui

« Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour. » Elie Wiesel 


Quatrième de couverture
  Sur les 23 000 « Justes parmi les nations », il n'y a pas un seul Arabe et pas un musulman de France ou du Maghreb. C'est étonnant quand on connaît les liens séculaires qui ont uni les communautés juive et musulmane. Alors, j'ai décidé de chercher. Pendant deux ans et demi, j'ai défriché des documents, suivi toutes les pistes possibles, tenté de recueillir des témoignages. On m'a souvent répété : « Mais les témoins sont morts aujourd'hui. »  J'ai exhumé des archives, écouté des souvenirs, même imprécis, et retrouvé de vraies histoires : comme celle de cette infirmière juive ou celle du père de Philippe Bouvard qui ont échappé à la déportation grâce au fondateur de la Grande Mosquée de Paris, Kaddour Benghabrit. Cet homme a sauvé d'autres vies.
  Des anonymes ont également joué un rôle en fournissant aux Juifs de faux certificats attestant qu'ils étaient de confession musulmane. La mère de Serge Klarsfeld en a bénéficié : « J'ai eu une mère algérienne et musulmane pendant quelques mois. Elle s'est appelée Mme Kader », m'a-t-il raconté. Et l'action du roi Mohammed V au Maroc durant l'Occupation ne lui vaudrait-elle pas le titre de Juste?
  « Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour. » J'avais toujours à l'esprit cette phrase d'Elie Wiesel. Je l'ai écrite plusieurs fois, et suis parti en quête de témoins pour ne pas rompre le fil ténu de la mémoire. »  M. A.

  Journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui est l’auteur de L’affaire de l’esclave Furcy (prix Renaudot essai et prix RFO du livre)

Un autre Extrait
  Ne connaissant pas bien la ville, je demande à un guide de m’aider. Comme dans certaines communes du Maroc et d’Algérie, je pose la question de l’existence d’un quartier juif – il y en a toujours un. Le guide m’emmène près de l’hôtel de ville, sur le boulevard Maata (beaucoup d’Oranais disent encore le boulevard Joffre), et me montre la grande mosquée Abdellah Ben Salem. Je suis un peu surpris, je ne suis pas un expert en architecture, mais elle ne ressemble pas vraiment à une mosquée classique. Quand je lui fais part de mon étonnement, le guide sourit, l’air un peu moqueur. Il me dit : « C’était une synagogue, avant! »
   Ainsi, cette grande synagogue d’Oran a été transformée en mosquée sans aucune retouche. Ça  ne remonte pas à si longtemps – c’était en 1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu'ils pouvaient être purs ou impurs. Je suis étonné de voir le vendredi une foule de musulmans entrer dans cette synagogue… pardon, dans cette mosquée. Ainsi, les lieux n’auraient pas de mémoire. Une synagogue peut devenir une mosquée, et ça n’a l’air de gêner personne – alors que vous n’arriverez pas à faire manger un musulman dans une assiette déjà utilisée par un Juif. Et vis versa.
  La légende dit que l’on aurait amené dans cette synagogue des pierres de Jérusalem. On y met les pieds, on prie, on espère. Des Juifs y ont prié, espéré… Puis, des musulmans y ont prié, espéré. Et pourquoi pas alors un lieu où pourraient se retrouver des Juifs et des musulmans ? Parfois les hommes me sidèrent.
  A Alger aussi, des synagogues ont été transformées en mosquées.
  Dans les documents retrouvés aux archives d’Oran, je lis des phrases qui surprendraient aujourd'hui, et je souris. Un exemple, déniché dans une sorte d’atlas de l’époque : «  En 1938, la France compte 25 millions de sujets musulmans. » Ça me fait sourire, parce que les nostalgiques de l’ancien empire colonial n’y avaient pas pensé. « La France compte 25 millions de musulmans », la phrase effraierait certains aujourd'hui…
  D’autres phrases disent l’époque, et la manière dont des populations étaient considérées. On parle de « l’extrême versatilité des indigènes ». Ces gens seraient trop sensibles à la sorcellerie, etc.

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