dimanche 14 février 2010

Karen Knorr, Fables - Photographies au Musée Carnavalet

The Green Bedroom Louis XVl © Karen Knorr
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The Corridor © Karen Knorr
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Salon Lilas © Karen Knorr
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Demarteau's Salon © Karen Knorr
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Ledoux's Reception © Karen Knorr
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du 10 février au 30 mai 2010
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Au printemps 2010, Carnavalet se peuple d’une faune étrange ! Renard, tortue, lièvre et cigogne se mettent en scène sous l’objectif de Karen Knorr, créant au sein des fameuses period rooms du XVIIIème siècle, une animation lyrique à l’image des fables d’Ésope ou de La Fontaine.
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Dans le sillage d’artistes aussi fameux que La Fontaine ou Chardin, Karen Knorr s’intéresse depuis longtemps aux rapports entre l’animal et la société. En mettant en scène la gent animale dans des intérieurs ultra chics, aux antipodes de son habitat naturel, l’artiste anticonformiste nous balade, un sourire espiègle aux lèvres, dans les labyrinthes de son univers.Qui aurait pensé qu’en installant les animaux dans les musées et les châteaux, ils allaient nous enseigner la sagesse plus efficacement que n’importe quel théoricien ? Karen Knorr, en fée de la photo, est parvenue à rendre les bêtes beaucoup plus éloquentes qu’elles ne le paraissent !
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LIBRE-PENSEUSE. Née à Francfort, Karen Knorr est Américaine et vit à Londres. Après avoir grandi au Puerto Rico, elle a étudié en France et en Grande Bretagne, notamment au Polytechnic of Central London. Voyageuse invétérée, elle est curieuse de tout et de tous. Devenue célèbre avec sa série Gentlemen, un travail sur les clubs masculins very select de nos voisins so british, son intérêt pour l’upper-class ne l’a pas empêchée de s’immerger dans des milieux beaucoup plus underground, tel que celui des punks, qu’elle regrette de n’avoir pu intégrer étant « trop vieille » selon ses propres dires ! Ces investigations sociales, à dominante documentaire, forment l’un des piliers de son œuvre, qui s’apparente en quelque sorte à un triptyque dans lequel on trouve aussi un pan très conceptuel – auquel se rattache sa série Virtues and the Delights, par exemple – et toute une partie essentiellement narrative, dont Fables se rapproche. L’esthétique extrêmement soignée de ses clichés, la profondeur de la réflexion qui les habite, ainsi que sa démarche iconoclaste, font de Karen Knorr une artiste incontournable. Exposée partout dans le monde, de Genève à Londres en passant par New York, ses Fables seront exposées à la Maison de la Photograhie de Toulon du XXXXXXX et une Rétrospective est annoncée au Musée Municipal de la Roche-sur-Yon du 17 octobre au 9 janvier 2010.
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LA BELLE ET LA BÊTE. Très tôt, les animaux se sont invités dans son œuvre. Ce furent tour à tour les chiens de la haute société rurale anglaise, les singes téléportés dans les musées et enfin tout un bestiaire mis en scène dans des contextes aussi inattendus que les lieux de culte et ceux de culture. Jusqu’à cette dernière série intitulée Fables, étonnante narration sans parole dont les animaux sont les protagonistes. Pour ce travail, Karen Knorr s’est rendue dans les châteaux de Chambord et de Chantilly, ainsi que dans le musée Carnavalet, le musée de la Chasse et de la Nature (Paris) et encore d’autres lieux prestigieux. Elle a photographié, à l’argentique, les espaces de ces hauts lieux de la culture humaine. Dans ces intérieurs hantés par le snobisme et la vanité des siècles passés, elle a disposé des animaux empaillés ou vivants, tantôt au moment de la prise de vue, tantôt par retouches numériques. Ce travail très original séduit immédiatement par son esthétique d’un raffinement extrême. Mais il recèle des trésors qui ne se laissent découvrir que par les spectateurs les plus attentifs…
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MELANGE DES GENRES. Si l’on en doutait, Karen Knorr prouve encore qu’elle n’a pas pour habitude de s’embarrasser ni de préjugés ni de valeurs convenues. Très personnel, Fables est un ensemble qui se nourrit de multiples influences. Le titre de la série, en premier lieu, en appelle à un art vieux comme le monde. Ce genre littéraire, qui consiste à recourir à l’allégorie animale pour illustrer un propos moral, remonte en effet à 2000 ans avant notre ère ! Quant aux références plastiques, on pense, pour nombre de photos, aux peintres hollandais du 17ème siècle. Du moins à ceux qui, tel Vermeer, représentaient des intérieurs intimistes dont les plans mis en abyme sont chargés d’une symbolique à forte teneur philosophique. Dans le cliché intitulé The Corridor, véritable tableau vivant, les nombreuses portes et fenêtres multiplient les plans de la composition mais, en définitive, le spectateur ne voit à travers aucune d’entre elles. Il reste enfermé dans son monde culturel étriqué, tandis que les animaux, réputés sauvages, ont le regard orienté vers une fenêtre que l’on devine ouverte. Ils sont les seuls à voir le monde tel qu’il est, comme s’ils étaient dotés d’une clairvoyance dont l’homme serait dépourvu. Ce rappel à l’ordre et cette invitation à l’humilité que nos cousins illettrés nous adressent dans le silence n’est pas sans évoquer l’art de la vanité. Si l’on ajoute à cela que le plus grand nombre des figurants de la série sont des animaux empaillés, fatalement morts, son travail s’inscrit alors plus largement dans l’héritage des natures mortes. Influence que confirment les constantes ambiguïtés entre vivant et mort, spontanéité et mise en scène, réalisme et artifice… Mais Karen Knorr, impossible à cataloguer dans un genre plutôt qu’un autre, s’est aussi inspirée du cinéma, notamment pour The Green Bedroom, dans lequel de « vulgaires pigeons » virevoltent devant un lit à baldaquin. La photographe déclare s’être inspirée du chef d’œuvre d’Hitchcock, Les oiseaux. Et en effet, il se dégage de cette image une atmosphère aussi pesante et inquiétante que dans le film. Une étrange menace qui plane et qui vient à la fois de la présence anormale des volatiles dans cette chambre d’apparat, de la tonalité vert glauque des couleurs et de la frontalité claustrophobique de la composition.
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RIRES ET CHUCHOTEMENTS. Bien qu’on ne soit pas loin, dans cette série, de l’acerbe critique sociale d’un Ingmar Bergman réalisant Cris et chuchotements, Karen Knorr, elle, préfère rire de nos travers plutôt que de grincer des dents ! L’humour est ainsi le principal ressort avec lequel elle pointe nos complexes de supériorité par rapport à la nature, notre éternel snobisme, nos préjugés… bref, toute cette bêtise que ne connaissent pas, justement, les bêtes. Face à ces images, le spectateur peut bien sûr tomber en pâmoison mais il faut bien vite qu’il se relève pour comprendre que les animaux se moquent de lui ! De façon théâtrale, et même burlesque, les renards, cigognes et consorts vivent leur vie dans nos musées en nous ignorant magnifiquement, nous les spectateurs. Ils sont un peu comme ces enfants qui narguent leurs parents en faisant des bêtises sous leur nez… Si parfois leur regard est tourné vers nous, c’est pour nous témoigner davantage d’ironie que d’admiration ; face à la nature qui s’approprie le territoire de la culture, nous voilà donc impuissants et, disons-le, franchement idiots… La dimension sociale de cette critique de l’homme par l’animal vient aussi des lieux choisis par Karen Knorr. Faire-valoir sociaux pour l’aristocratie d’Ancien Régime, ils sont devenus nos sanctuaires culturels, essentiellement fréquentés par les nouvelles élites. Karen Knorr, d’un coup de balai absolument décomplexé, « dénature » ces endroits et, dans le même élan, nous incite à remettre en question la vanité de notre fonctionnement et de notre interminable course à « celui qui se distinguera le plus des autres » !
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Ces derniers temps, la plasticienne a troqué les hautes sphères culturelles d’Europe pour le Rajasthan. A travers l’architecture vernaculaire et les zenanas – ce sont des sérails, version indienne – elle s’intéresse à cette culture où cohabitent plusieurs religions dans la tolérance, ainsi qu’à la place de la femme dans la société. Gageons qu’elle nous rapportera des images aussi parlantes que ses Fables animalières !
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Les photos qui servent à illustrer cet article sont empruntées au site Karen Knorr (Titres des photos dans l'ordre de leur apparition dans le texte)
n°1- What is Human
n°2- In the Green Room
n°3- The Judgement of Paris
n°4- Where Have All the Sparrows Gone
n°5- The Music Room
n°6- High Art Life After the Deluge
n°7- The Stag and Wolf Room
n°8- The Grand Monkey Room 3
n°9- The Wolf's and the Stag's Room
n°10- The Grand Monkey Room 2

7 commentaires:

  1. J'aime beaucoup la première partie de ton billet de Fables vues par Karen Knorr, très belle mise en scènes.

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  2. Votre article me donne fort envie d'aller à Paris au printemps !
    Votre blogue est délicieux !

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  3. Elle me tente bien cette expo "incongrue" :)

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  4. Il me semble que j'avais vu certaines des photos en question lorsqu'elle avait photographié à Chantilly. Ton article me donne en tout cas envie d'en savoir plus ("The green bedroom" me donne la chair de poule). Je découvre ton blog par la même occasion, bonjour donc!

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  5. Je ne connaissais pas du tout et je suis sous le charme! J'aime ce genre de photographies atypiques! Merci de m'avoir fait découvrir cette artiste!

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  6. Oh! These are incredible. Thanks for sharing.

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  7. je fais un mémoire dont le thème est "L'usage du temps dans l'art contemporain" auriez vous des ouvrages à me conseiller ? merci

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard