lundi 30 novembre 2009

L'énigme du retour, Dany Laferrière

Jean René Jérôme 1942-1991, Maternité

« Le temps file à une si folle vitesse
qu’elle fait de ma vie un magma de couleurs.
C’est ainsi que passe la nuit polaire. »

Mot de l’Editeur : Un jeune homme de vingt-trois ans quitte son pays de manière précipitée, un homme épuisé y retourne trente-trois ans plus tard.
Il est passé de l'étouffante chaleur de Port-au-Prince à l'interminable hiver de Montréal.
Du sud au nord. De la jeunesse à l'âge mûr. Entre ces deux pôles s'est trouvé le temps pourri de l'exil.
Son départ a été provoqué par la politique. Journaliste frondeur, il avait taquiné le régime autoritaire et ombrageux de Bébé Doc. Sa vie était en danger. A Montréal, seul et sans le sou, il est devenu écrivain. En exil, on a la chance d'avoir un passé concret : le pays natal, qui continue à nous hanter. Et un présent : ce lieu indéfini où l'on est maintenant. Entre ces deux trop vastes espaces, il a choisi une baignoire qui lui a permis de n'être ni ici, ni là-bas. Et a ainsi rêvé sa vie, dans l'eau chaude pendant qu'il gelait dehors, durant plus de trente ans.
Et voilà qu'une nuit, le téléphone lui apprend la mort de son père, qui vivait à New York depuis plus de cinquante ans. Ce père, qui a un destin parallèle au sien, avait été exilé par Papa Doc, père de Bébé Doc. Ce père qu'il n'a vu qu'en photo. La nouvelle le fait sortir de sa baignoire pour prendre la route. D'abord n'importe où, vers le nord. Comme un adieu à cet univers de glace qui l'a tenu au frais si longtemps. Puis il finit par se rendre à New York aux funérailles de son père.
Il compte le ramener à son village natal de Barradères, dans le sud d'Haïti. Revenu à Port-au-Prince, il prend une chambre à l'hôtel. Quand on a vécu seul trop longtemps, on ne peut plus rejoindre la tribu. Mais sa mère l'attend sur la petite galerie, près du massif de lauriers roses, à la place où elle était lors de son départ.
Le voilà qui se terre dans sa chambre d'hôtel, n'osant regarder cette ville qu'il a tant rêvée là-bas, dans sa baignoire, à Montréal. Tous ces gens qu'il ne reconnaît plus, et ces autres qui ont poussé, comme des plantes, en son absence. Ce qui l'effraie le plus est de découvrir qu'il connaît mieux Montréal que Port-au-Prince. En fait, qu'il n'a plus de passé.
On apprend mieux en bougeant. Il décide d'emmener son neveu, qui porte le même nom que lui, sur les routes de l'île natale. Commence un périple, doux, grave et rêveur sur les traces du passé de son père, de son passé, de ses origines. Revient-on jamais chez soi ?"
D.L.
Né à Haïti en 1953 et vivant au Canada depuis plus de trente ans, Dany Laferrière a publié trois romans chez Grasset qui ont rencontré un grand succès critique : Le Goût des jeunes filles (2005), Vers le Sud (2006), Je suis un écrivain japonais (2008). Il pose d'une manière toute personnelle la question de l'identité et de l'exil.
Editions : Grasset

Extrait
Je m’enfonce dans cette bananeraie
traversée par un ruisseau
dont j’ai entendu le chant
avant de découvrir dans la pénombre
le dos brillant de l’eau
sous les reflets de la lune.

Je découvre un vieil homme
endormi sous un bananier.
Quel genre de vie
a-t-il mené
pour continuer à sourire
dans son rêve ?

J’imagine qu’elle fut différente de celle
de l’ancien ministre qui passe ses nuits
dans un musée où la plupart des tableaux
reproduit le cadre champêtre où dort ce paysan.
L’un vit dans le rêve de l’autre.

Je retraverse le petit cimetière.
La terre a bu toute l’eau du ciel.
Les morts avaient soif
mais leur préférence va
à l’eau-de-vie.

Je n’ai eu qu’à lever la tête
pour voir Sirius
sur le cou du grand chien.
C’est avec l’étoile la plus brillante
que je passerai la nuit.

Je me suis assis
dans la nuit
sur une tombe
pour fumer une cigarette.
Et penser à mon père.

Cet adolescent qui courait hier encore
presque nu sous la pluie
dans les rues de Baradères
aurait pu finir sa vie
comme ses compagnons
qui n’ont pas quitté le village natal.
Et ne jamais connaître

un si étrange destin.


Mon avis: Dany Laferrière a reçu le Prix Médicis 2009 pour ce chef-d’œuvre littéraire d'une beauté rare! Au rythme de ces émotions et de sa sensibilité à fleur de peau, l’auteur alterne avec aisance prose et poésie sur trois cents pages que j’ai lu avec délectation et que je relis déjà avec beaucoup de plaisir. Dans L’énigme du retour, l'exil décrit par Dany Laferrière prend une dimension universelle qui renvoie chacun à sa propre enfance, sa propre histoire, ses propres origines. Un récit autobiographique qui m’a profondément émue…
.Frankétienne le 12 avril 1936 à Haïti, Sans titre
.
« L’exil combiné au froid
et à la solitude.
L’année, dans ce cas, compte double.
Mes os sont devenus secs. »

4 commentaires:

  1. tiens tu connais l'oeuvre de Dany il habite le Québec, il mérite bien ce prix!

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  2. Je viens de découvrir Dany Laferrière, tout récemment, grâce au prix Médicis qu’il vient de recevoir, un grand prix littéraire ici en France! J'ai beaucoup aimé "L'énigme du retour" et ne vais pas tarder à acheter les autres romans qu'il a écrits...
    Oui, je sais qu'il habite le Québec. D'ailleurs, j'en profite pour dédier ce post à tous mes amis du Canada!!
    Très amicalement

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  3. Je n'ai jamais rien aimé de ce que j'ai pu lire de Dany Laferrière, mais bon peut-être que sur tes conseils je vais me laisser tenter!

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  4. J'ai vu Dany Laferrière lors d'une émission de télévision où il présentait son livre (avant d'avoir reçu le prix Médicis), j'aime l'écouter, il est très intéressant. A un moment il a comparé l'écriture à la peinture, et a fait le parallèle entre sa façon d'écrire et l'Art Naïf.
    A bientpot kenza, je te souhaite une très belle journée.
    Bisous.

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard