Lecadre Alphonse Eugène (1842-1875), Le Sommeil. (C) RMN / Gérard Blot. Nantes, musée des Beaux-Arts
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Ce livre d'un fils est aussi le livre de tous les fils. Chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d'amour. Et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu'il s'adresse à lui-même lorsqu'il pense à telle circonstance où il s'est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. Regrets ou remords toujours tardifs. "Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s'impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis." Mais, il faut laisser la parole à Albert Cohen.
"Allongée et grandement solitaire, toute morte, l'active d'autrefois, celle qui soigna tant son mari et son fils, la sainte Maman qui infatigablement proposait des ventouses et des compresses et d'inutiles et rassurantes tisanes, allongée, ankylosée, celle qui porta tant de plateaux à ses deux malades, allongée et aveugle, l'ancienne naïve aux yeux vifs qui croyait aux annonces des spécialités pharmaceutiques, allongée, désoeuvrée, celle qui infatigablement réconfortait. Je me rappelle soudain des mots d'elle lorsqu'un jour quelqu'un m'avait fait injustement souffrir. Au lieu de me consoler par des mots abstraits et prétendument sages, elle s'était bornée à me dire: "Mets ton chapeau de côté, mon fils, et sors et va te divertir, car tu es jeune, va, ennemi de toi-même." Ainsi parlait ma sage Maman."
Biographie
Albert Cohen, né en 1985 à Corfou (Grèce), a fait ses études secondaires à Marseille et ses études universitaires à Genève. Il a été attaché à la division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Pendant la guerre, il a été à Londres le conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, dont faisaient notamment partie la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. En cette qualité, il a été chargé de l’élaboration de l’accord international du 15 octobre 1946 relatif à la protection des réfugiés. Après la guerre, il a été directeur dans l’une des institutions spécialisées des Nations-Unies.
Albert Cohen a publié Solal en 1930, Mangeclous en 1938 et Le livre de ma mère en 1954. En 1968, le Grand Prix du roman de l’Académie française lui est décerné pour Belle du Seigneur. En 1969, il publie Les Valeureux, en 1972 Ô vous, frères humains et en 1979 Carnets 1978. Il est mort à Genève le 17 octobre 1981.
Extraits
"Un dernier regard au miroir, pour ôter les dernières traces de la poudre de riz qu'en ce jour de fête elle mettait en secret et avec un grand sentiment de péché, une naïve poudre blanche de Roget et Gallet, qui s'appelait, je crois, " Vera Violetta ". Et vite elle allait ouvrir la porte, assujettie par une chaîne de sûreté, car on ne sait jamais et les souvenirs des pogromes sont tenaces. Vite préparer l'entrée des deux précieux. Telle était la vie passionnelle de ma sainte mère. Peu Hollywood, comme vous voyez. Les compliments de son mari et de son fils et leur bonheur, c'était tout ce qu'elle demandait de la vie."
"Maintenant, c'est la portière du wagon à la gare de Genève, et le train va partir. Décoiffée, le chapeau piteusement de côté, la bouche stupéfaite de malheur, les yeux brillants de malheur, elle me regarde tellement, pour prendre le plus possible de moi avant que le train s'ébranle. Elle me bénit, elle me recommande de ne pas fumer plus de vingt cigarettes par jour, de bien me couvrir en hiver. Dans ses yeux, il y a une folie de tendresse, une divine folie. C'est la maternité. C'est la majesté de l'amour, la loi sublime, un regard de Dieu. Soudain, elle m'apparaît comme la preuve de Dieu."
Albert Cohen, né en 1985 à Corfou (Grèce), a fait ses études secondaires à Marseille et ses études universitaires à Genève. Il a été attaché à la division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Pendant la guerre, il a été à Londres le conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, dont faisaient notamment partie la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. En cette qualité, il a été chargé de l’élaboration de l’accord international du 15 octobre 1946 relatif à la protection des réfugiés. Après la guerre, il a été directeur dans l’une des institutions spécialisées des Nations-Unies.
Albert Cohen a publié Solal en 1930, Mangeclous en 1938 et Le livre de ma mère en 1954. En 1968, le Grand Prix du roman de l’Académie française lui est décerné pour Belle du Seigneur. En 1969, il publie Les Valeureux, en 1972 Ô vous, frères humains et en 1979 Carnets 1978. Il est mort à Genève le 17 octobre 1981.
Extraits
"Un dernier regard au miroir, pour ôter les dernières traces de la poudre de riz qu'en ce jour de fête elle mettait en secret et avec un grand sentiment de péché, une naïve poudre blanche de Roget et Gallet, qui s'appelait, je crois, " Vera Violetta ". Et vite elle allait ouvrir la porte, assujettie par une chaîne de sûreté, car on ne sait jamais et les souvenirs des pogromes sont tenaces. Vite préparer l'entrée des deux précieux. Telle était la vie passionnelle de ma sainte mère. Peu Hollywood, comme vous voyez. Les compliments de son mari et de son fils et leur bonheur, c'était tout ce qu'elle demandait de la vie."
"C'est le seul faux bonheur qui me reste, d'écrire sur elle, pas rasé, avec de la musique inécoutée de la radio, avec ma chatte à qui, en secret, je parle dans le dialecte vénitien des Juifs de Corfou, que je parlais parfois avec ma mère. Mon impassible chatte, mon ersatz de mère, ma piteuse petite mère si peu aimante. Quelquefois, lorsque je suis seul avec ma chatte, je me penche vers elle et je l'appelle ma petite Maman. Mais ma chatte me regarde et ne comprend pas. Et je reste seul, avec ma ridicule tendresse en chômage."
Bachelier Jean-Jacques (1724-1806), Chat angora. RMN / Agence Bulloz |
"Maintenant, c'est la portière du wagon à la gare de Genève, et le train va partir. Décoiffée, le chapeau piteusement de côté, la bouche stupéfaite de malheur, les yeux brillants de malheur, elle me regarde tellement, pour prendre le plus possible de moi avant que le train s'ébranle. Elle me bénit, elle me recommande de ne pas fumer plus de vingt cigarettes par jour, de bien me couvrir en hiver. Dans ses yeux, il y a une folie de tendresse, une divine folie. C'est la maternité. C'est la majesté de l'amour, la loi sublime, un regard de Dieu. Soudain, elle m'apparaît comme la preuve de Dieu."
superbe livre !
RépondreSupprimerbises Kenza
J'étais indisponible quelques temps pour raison de santé, mais j'ai pris plaisir à lire tes publications, riches, de très bons choix, pleine d'expressions et je retrouve là Albert Cohen ! superbe livre en effet.
RépondreSupprimer(Les peintres lisent beaucoup ne serait-ce que pour ce documenter)
bises
cath
Je suis très émue à la lecture de ton billet sensible et des mots magnifiques d'Albert Cohen. Une mère même de substitution, est une figure exemplaire avec (ou contre) laquelle nous nous construisons... Ce livre est immense .
RépondreSupprimerMerci ma très douce.
Et merci aussi pour tes mots si personnels et amicaux qui me touchent énormément.
Très beau tableau pour représenter la Mère et son enfant, les mots de l'éditeur me touchent, je suis la Maman d'un fils unique ! Ensuite cette mère qui sent bon la Vera Violetta doit laisser à tout jamais un souvenir inoubliable et moultes réminiscences et un écrivain qui parle à son chat en dialecte vénitien des Juifs de Corfou, un billet magnifique ma Douce Kenza !
RépondreSupprimerViens faire un petit tour chez VenetiaMicio où tu pourras partager une petite récompense.
Bisous
Danielle
Admirable ce tableau signé Lecadre Alphonse Eugène. Bravo de l'avoir déniché !
RépondreSupprimerQue d'émotion ici ... merci .EB
RépondreSupprimerJe sais que c'est un auteur très aimé et reconnu mais ayant lu ce livre ainsi que Belle..., je n'ai pas VRAIMENT aimé.
RépondreSupprimerChère Kenza,pouvez-vous me dire le nom du peintre de la couverture du livre de Albert Cohen?
RépondreSupprimerC'est toujours un plaisir se promener dans ton blog...
salutations du Portugal
Ces extraits me donne envie de me plonger dans ce texte et je suis mère d'un fils! Aussi d'une fille et mamie d'une petite fille avec qui je viens de faire la sieste comme sur cette peinture...amitié et bises, Martine
RépondreSupprimerMerci pour ces quelques extraits. Ce livre est une merveille.
RépondreSupprimerCharmant, ma Kenza. Un billet si doux...
RépondreSupprimerGros bisous.
C'est toujours rafraîchissant de venir lire ton blog.
RépondreSupprimerQuel bel hommage à Cohen.
Et je suis d'accord avec Cath de "Weekend et coup de brosse", les peintres lisent beaucoup car les livres sont des sources d'inspiration.
J'ai depuis tous temps été inspirée par la poésie et la littérature anglaise et par Marcel Proust et tant d'autres encore.
Le premier tableau "sommeil" reflète très bien l'abandon et la confiance entre mère et enfant !
RépondreSupprimerL'abandon dans le sens du sommeil ....
Bises !
Est-ce que ce livre est aussi "GROS" que Belle du seigneur... parce que je n'ai pas beaucoup de temps en ce moment ... et pourtant, tu me tentes, tu en parles si bien...
RépondreSupprimerEt ce chat blanc merveilleux, en illustration, je le connais ... J'ai eu une merveilleuse chatte de ce style, qui était venue s'installer chez nous en plein mois d'Août il y a quelques années, abandonnée certainement par ses maitres... Une rencontre !
À bientôt ma belle, douce soirée. Des bisous. brigitte
Les citations sont parfaites. Quel plaisir de relire ces si belles phrases d'un auteur que j'aime.
RépondreSupprimerJe suis Robson Rocha, je suis styliste au Brésil. Je suis fou de mode et je fais de cela une manière d'expression.
RépondreSupprimerJ'accompagne toujours votre blog et j'aime beaucoup votre travail. Moi aussi, j'ai un blog où je montre mes créations de mode. je voudrais vous préseter mon blog www.zoedegaia.blogspot.com
Je vous remercie de votre attention.
Robson Rocha.
Un billet rempli de douceur et d'émotion, un bel hommage!
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