Guillaume Seignac (1870-1924), Jeune fille au papillon |
Le papillon posé sur le doigt,
ma fille.
Éphémères
Quatrième de
couvertureÉphémères
Ancien
chirurgien du cœur, il y a longtemps qu’Octave Lassalle ne sauve plus de vies.
À quatre-vingt-dix ans, bien qu’il n’ait encore besoin de personne, Octave
anticipe : il se compose une “équipe”. Comme autour d’une table d’opération –
mais cette fois-ci, c’est sa propre peau qu’il sauve. Il organise le découpage
de ses jours et de ses nuits en quatre temps, confiés à quatre
“accompagnateurs” choisis avec soin. Chacun est porteur d’un élan de vie aussi
fort que le sien, aussi fort retenu par des ombres et des blessures anciennes.
Et chaque blessure est un écho.
Dans le geste ambitieux d’ouvrir le
temps, cette improbable communauté tissée d’invisibles liens autour
d’indicibles pertes acquiert, dans l’être ensemble, l’élan qu’il faut pour
continuer. Et dans le frottement de sa vie à d’autres vies, l’ex-docteur
Lassalle va trouver un chemin.
Jeanne Benameur bâtit un édifice à la
vie à la mort, un roman qui affirme un engagement farouche. Dans un monde où la complexité perd du
terrain au bénéfice du manichéisme, elle investit l’inépuisable et passionnant
territoire du doute. Contre une galopante toute-puissance du dogme, Profanes
fait le choix déterminé de la seule foi qui vaille : celle de l’homme en
l’homme.
Jeanne Benameur vit
au bord de l’Atlantique et consacre l’essentiel de son temps à l’écriture. Elle
est l’auteur de huit romans parmi lesquels : Les Demeurées (Denoël, 2000 et Folio).
En
2008, elle rejoint Actes Sud avec Laver les ombres. En 2011, son roman Les Insurrections singulières rencontre un succès remarquable.
Sur la photographie, c’est l’été. La lumière est là, dans
l’escarpement des feuilles de l’arbre derrière les personnages. Elle ne voit d’abord
que ça : la lumière. Chaque chose en est enveloppée. Et les deux visages.
Si proches. Une chevelure légère qui prend tout le soleil. Le visage d’une
jeune fille, derrière celui d’un homme. Elle, debout, est penchée en avant, les
coudes posés sur ses épaules à lui. Lui est assis sur un banc de pierre. Hélène
Avèle reconnait Octave Lassalle, il devait avoir la cinquantaine.
Plus elle regarde
les visages, plus ils se dérobent. Des taches, juste des taches dans la lumière
si prégnante. Elle perd les traits, ne garde que le contour. Et cette lumière qui
souligne et annihile tout. Comme si la réalité se perdait. Elle est devant une
image. Une image. Pourquoi cette photographie déclenche-t-elle en elle cette
sorte de vertige ?
Elle entend la
voix du vieil homme qui dit Le modèle, c’est elle. Et, dans une fraction de
seconde, comme si elle avait elle-même appuyé sur le déclencheur de l’appareil,
elle mesure l’immensité du contrat. Elle sent la photographie glisser sous ses
doigts. Octave Lassalle l’a ramenée vers lui. Hélène se rend compte qu’elle a
fermé les yeux.
Il est reparti
vers son bureau. Elle entend son pas difficile. Elle imagine le dos qui cherche
à rester droit et ça la bouleverse.
Quand il revient, il ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit. C'est lui qui prend la parole.
Il lui parle longuement des portraits du Fayoum. Elle a déjà entendu parler de ces portraits retrouvés dans la région d'Égypte dont ils portent le nom? Octave Lassalle lui demande si elle en connaît l'existence, c'est tout.
Il dit alors sa découverte de ses visages postés au bord de la mort, nus de tout désir d'être regardés par les vivants. Peints pour la tombe. Hélène l'écoute. Il dit qu'il avait vu ses premiers portraits du Fayoum au musée de Toronto. Qu'il y en a un peu partout dans les grands musées du monde mais que les premiers, c'était là, dans le pays de sa femme, qu'il les avait vus. Qu'ensuite il avait cherché les autres, dans d'autres pays, à chaque vacances et que sa femme trouvait ça morbide. Il parle comme pour lui-même, lentement. Il dit que c'était tout sauf morbide.
"Vous comprenez, il se dégage de chacun de ces visages, peints pour personne, une solitude et une humanité sans fard. Profonde. Seule la mort peut «dévisager» un être de cette façon. Avec cette simplicité."
Quand il revient, il ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit. C'est lui qui prend la parole.
Il lui parle longuement des portraits du Fayoum. Elle a déjà entendu parler de ces portraits retrouvés dans la région d'Égypte dont ils portent le nom? Octave Lassalle lui demande si elle en connaît l'existence, c'est tout.
Il dit alors sa découverte de ses visages postés au bord de la mort, nus de tout désir d'être regardés par les vivants. Peints pour la tombe. Hélène l'écoute. Il dit qu'il avait vu ses premiers portraits du Fayoum au musée de Toronto. Qu'il y en a un peu partout dans les grands musées du monde mais que les premiers, c'était là, dans le pays de sa femme, qu'il les avait vus. Qu'ensuite il avait cherché les autres, dans d'autres pays, à chaque vacances et que sa femme trouvait ça morbide. Il parle comme pour lui-même, lentement. Il dit que c'était tout sauf morbide.
"Vous comprenez, il se dégage de chacun de ces visages, peints pour personne, une solitude et une humanité sans fard. Profonde. Seule la mort peut «dévisager» un être de cette façon. Avec cette simplicité."