Sélection pour le prix de
Flore 2014
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Note de l'Éditeur
Paris, Adèle et Richard
semblent former un couple heureux. Elle est journaliste, il est médecin et
ensemble, ils élèvent un petit garçon dans leur bel appartement parisien. Mais
Adèle a un secret. Profitant de la liberté qu’elle a d’organiser son temps, elle
multiplie les occasions de rencontrer des hommes. Livrée à ses obsessions,
Adèle avance avec détermination dans une solitude livide, vers des situations
d’extrême dépravation sexuelle, voire de grand danger. Cependant Richard va
découvrir la vérité. Tout d’abord aveuglé par la colère et le chagrin, il
surmonte l’envie de quitter Adèle et tente de la ramener à lui…
Dans
le jardin de l’ogre est le récit d’un vertige, l’histoire d’un corps en quête
d’absolu. L’écriture précise et crue de Leïla Slimani ouvre sur des brèches
poétiques d’autant plus émouvantes, traçant la silhouette pleine de mystère
d’un personnage féminin à la fois intemporel et d’une grande modernité.
Quatrième de couverture
«Une
semaine qu'elle tient. Une semaine qu'elle n'a pas cédé. Adèle a été sage. En
quatre jours, elle a couru trente-deux kilomètres. Elle est allée de Pigalle
aux Champs-Élysées, du musée d'Orsay à Bercy. Elle a couru le matin sur les
quais déserts. La nuit, sur le boulevard Rochechouart et la place de Clichy.
Elle n'a pas bu d'alcool et elle s'est couchée tôt.
Mais cette nuit, elle en a
rêvé et n'a pas pu se rendormir. Un rêve moite, interminable, qui s'est
introduit en elle comme un souffle d'air chaud. Adèle ne peut plus penser qu'à
ça. Elle se lève, boit un café très fort dans la maison endormie. Debout dans
la cuisine, elle se balance d'un pied sur l'autre. Elle fume une cigarette.
Sous la douche, elle a envie de se griffer, de se déchirer le corps en deux.
Elle cogne son front contre le mur. Elle veut qu'on la saisisse, qu'on lui
brise le crâne contre la vitre. Dès qu'elle ferme les yeux, elle entend les
bruits, les soupirs, les hurlements, les coups. Un homme nu qui halète, une
femme qui jouit. Elle voudrait n'être qu'un objet au milieu d'une horde, être
dévorée, sucée, avalée tout entière. Qu'on lui pince les seins, qu'on lui morde
le ventre. Elle veut être une poupée dans le jardin de l'ogre.»
Leïla Slimani est née en 1981 à Rabat (Maroc). Dans le jardin de
l’ogre est son premier roman.
Extrait
Aujourd'hui,
elle pourrait sortir de scène. Se reposer. S’en remettre au destin et au choix
de Richard. Elle aurait sans doute intérêt à s’arrêter maintenant, avant que
tout s’écroule, avant de ne plus avoir
ni l’âge ni la force. Avant de devenir pitoyable, de perdre en magie et
en dignité.
C’est
vrai que cette maison est belle.
Surtout
la petite terrasse, sur laquelle il faudrait planter un tilleul et installer un
banc qu’on laisserait pourrir et se couvrir de mousse. Loin de Paris, dans la
petite maison de province, elle renoncerait à ce qui selon elle la définit
vraiment, à son être vrai. Celui-là même qui, parce qu’il est ignoré de tous,
est son plus grand défi. En abandonnant cette part d’elle-même, elle ne sera
plus que ce qu’ils voient. Une surface sans fond et sans revers. Un corps sans ombre.
Elle ne pourra plus se dire : « Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. De
toute façon, ils ne savent pas. »
Dans
la jolie maison, à l’ombre du tilleul, elle ne pourra plus s’évader. Jour après
jour, elle se cognera contre elle-même. En faisant le marché, la lessive, en
aidant Lucien à faire ses devoirs, il faudra bien qu’elle trouve une raison de
vivre. Un au-delà au prosaïsme, qui déjà
enfant l’étranglait et lui faisait dire que la vie de famille était une effroyable
punition. Elle en aurait vomi de ces journées interminables, à être juste
ensemble, à se nourrir les uns les autres, à se regarder dormir, à se disputer
une baignoire, à chercher des occupations. Les hommes l’ont tirée de l’enfance. Ils l’ont extirpée de cet
âge boueux et elle a troqué la passivité enfantine contre la lascivité des
geishas.
Gallimard