mercredi 22 avril 2009

Les Amants de la mer Rouge, Sulaiman Addonia

"Lorsqu'une femme marche, m'avait dit le poète du camp de réfugiés,
toute la terre marche avec elle."
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Pour échapper à la guerre et aux massacres qui sévissent en Erythrée, Nasser et son petit frère Ibrahim sont séparés de leur mère, restée dans un camp de réfugiés au Soudan, pour rejoindre leur oncle maternel résidant à Djeddah sur l'autre rive de la mer Rouge.
Très vite, Nasser tombe sous le charme de cette ville moderne et lumineuse, sillonnée de larges avenues bordées de somptueux immeubles et d’élégantes villas. Pourtant au milieu de tout ce luxe étincelant, seuls deux couleurs dominent dans les rues de la ville, ce que Nasser appelle «le film en noir et blanc». Nous sommes en Arabie Saoudite, terre sacrée de l’islam et deux mondes se côtoient sans jamais se mélanger: d’un côté, les hommes vêtus de leur élégant thobe, (vêtement traditionnel masculin de couleur blanche) et de l’autre, les femmes entièrement couvertes de leur abaya, (vêtement traditionnel féminin de couleur noire).
Après une brouille avec son oncle, Nasser se retrouve seul dans un minuscule appartement, contraint à de petits boulots pour survivre dans une ville où les étrangers n'ont aucun droit à l'erreur sous peine d'expulsion et où la police religieuse surveille les faits et gestes de chacun.
Un après-midi de juillet, alors qu’il prend le frais sous son palmier, une inconnue arrive dans sa direction et bravant tous les interdits, laisse tomber une lettre contenant une déclaration d’amour! Voilà de quoi provoquer l’émoi et semer le trouble dans le cœur d’un jeune homme de vingt ans, conscient du châtiment qu’ils encourent tous les deux, s’il outrepassait la loi et qu'il répondait à cette avance…
Ce premier roman de Sulaiman Addonia que j’ai lu d’une seule traite le week-end dernier est un véritable plaidoyer en faveur de la liberté de la femme musulmane. Une histoire poignante, qui laisse deviner toute la sensualité d’une jeunesse passionnée en mal de liberté.
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Extrait
"Les yeux fermés j'ai pensé au temps où je vivais près de ma mère et de ses amies. Depuis des années je convoquais ainsi mon passé chaque fois que la crainte de ne plus la revoir me brûlait le ventre. Plus tard, quand la douleur s'est installée, sourde et constante, c'est devenu le seul endroit où je pouvais rencontrer des femmes. Le monde de ma mère était le refuge de mes désirs.
Pour gagner sa vie, elle tressait les cheveux des femmes et réalisait des dessins au henné. Elle travaillait dans notre hutte, assise sur un tabouret près de son lit. Ses clientes, souvent des amies, passaient chez nous dès qu'elles le souhaitaient. Ma mère avait beaucoup de travail avant les fêtes de mariage, de l'Aïd, de Pâques et de Noël.
Etendu sur mon lit, je les écoutais bavarder. Elles parlaient d'amour, de leurs maris, de leurs bonheurs et de leurs malheurs. Et chaque fois que des femmes venaient passer la nuit avec ma mère, je les observais à la dérobée. C'était souvent Semira, ma marraine moitié érythréenne, moitié italienne.
Ce jour-là, je l'ai vue apparaître derrière mes paupières fermées. Elle ne ressemblait pas à la marraine que j'avais connue, sage et pleine de bon sens. Dans mon esprit, elle devenait une déesse de l'amour et du désir. Je n'avais jamais vu d'autre femme nue, et le souvenir de ses courbes m'aidait à me sentir vivant.
Un soir, alors que je devais avoir neuf ans, je m'étais assis sur ses genoux. Elle mâchait un chewing-gum. Sa chemise blanche, moulante et très décolletée, dévoilait la naissance de ses seins. C'était ma chemise préférée. Je la regardais se coiffer. "Je peux avoir ton chewing-gum?" lui ai-je demandé. Elle a acquiescé. Du bout des doigts, j'ai attrapé le chewing-gum tiède entre ses lèvres rouges. Il avait pris le goût de sa bouche. Je l'ai mâché lentement, les yeux posés sur le collier doré qui ornait sa peau brune. Je me suis arrêté sur le renflement de sa poitrine, hypnotisé. Avec un sourire, elle a détourné le regard."
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Sulaiman Addonia
Sulaiman Addonia est né en 1974 en Erythrée, d'un père éthiopien et d'une mère érythréenne. Il a passé ses jeunes années dans un camp de réfugiés au Soudan, après le massacre d'Om Hajar perpétré dans son pays en 1976. Dans les années 1980, Addonia se réfugie avec son frère, en Arabie Saoudite, puis en Grande-Bretagne, où il étudie à l'University College de Londres. Les Amants de la mer Rouge est son premier roman.
Sulaiman Addonia parle de son roman "The Consequenses of Love", titre original, en vidéo ici
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Je remercie chaleureusement Suzanne de Chez les Filles ainsi que les éditions Flammarion

5 commentaires:

  1. Une histoire actuelle, qui pose des questions... Deux mondes parallèles dont les parois se fissurent un peu: Tu m'as donné l'envie de lire ce livre:)))
    Bisous

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  2. Avec ton commentaire, je suis rassurée, je pense que mon message est bien passé!
    Bisous et à ce soir

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  3. C sont des histoires très interessants qui nous montrent un peu le monde arabe tres inconnu (pour moi). J'aimerais bien le lire, je ne connaisais pas l auteur; je ne crois pas que l histoire soit traduit à l espagnol? tu sais?
    Je vais chercher en internet =)
    bisous

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  4. J´ignorais l´existence de ce pays.Merci pour cette découverte.
    Ici le livre sera difficile á trouver.

    Besitos desde Malaga.

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  5. @ Any et Annick,
    Je ne sais absolument pas si ce roman a été traduit en espagnol. Le mieux, c'est que vous regardiez chacune sur place... Vous me direz!
    Très amicalement

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard