« Ô vieux Maroc! Paradis à jamais perdu! »
Quatrième de couverture
En 1904, Christian Houel est le premier journaliste à
entrer au Maroc, alors interdit. Habillé en Arabe, parlant le marocain, sans
préjugés, il sillonne le pays, passant d’un camp à l’autre, en pleine guerre
civile, face aux troupes françaises.
Mes aventures marocaines racontent comment les Français
ont mis la main sur le Maroc de 1907 à 1912 et la naissance de Casablanca,
ville pionnière et véritable « Far West » français.
Publié pour la première fois en 1954 et épuisé depuis, ce
livre recherché est la « bible » de ceux qui s’intéressent à l’histoire du
Maroc et à l’aventure coloniale du Protectorat.
Extrait
Dans ce bon vieux Maroc où je m’étais livré à des
reportages qui dépassaient la commune mesure, poussé par l’attrait qu’avaient
sur moi les choses et les gens, je risquais volontiers ma personne pour goûter
dans leur plénitude la douceur et la candeur de l’Islam. Je me plaisais à les peindre, ces gens, à les
faire parler, à faire participer les lecteurs au plaisir que j’avais de vivre
avec eux.
Ma visite à la mehalla du commandant Brémond n’était qu’un
intermède. Je projetais, en effet, de me rendre à Meknès en traversant les tribus rebelles. J’espérais découvrir un
nouvel aspect de l’état d’âme des Marocains, si ébranlés par la venue des
chrétiens.
Leurs réactions ne diffèrent point des nôtres quand nous
subissons l’invasion des étrangers.
Nous sommes devenus Romains après combien de batailles,
lors de la conquête des Gaules par les légions de César. La dernière guerre
nous a révélé que la moitié des Français eussent accepté de devenir Boches pour
avoir la paix. La résistance des Marocains
ressortit au besoin de défense presque animal
de tout être, comme la soumission par la force ressortit à son instinct de
conservation.
L’établissement postérieur d’une collaboration, entre
vainqueurs et vaincus, dépend des principes de justice et d’égalité qu’importent
les premiers, en tenant compte des notions qu’ont les vaincus eux-mêmes de cette
justice et de cette égalité.
Or, c’est le pouvoir métropolitain, en France, qui s’est
toujours chargé de la législation de nos protectorats sans prendre l’avis des
intéressés, sans s’inquiéter des répercussions que peuvent avoir sur les
populations récemment soumises des décrets pas toujours inspirés par le désir d’une
collaboration réciproque.
Lyautey a lutté jusqu’au dernier jour de son proconsulat
contre certaines conceptions de la métropole. Le maintien du sultan était la
promesse que non seulement rien ne serait changé ni dans les mœurs, ni dans les
coutumes, mais que nous effacerions, par l’égalité des intérêts et du prestige,
l’inégalité des armes. Il n’est pas bien sûr que les hauts fonctionnaires
chargés de l’administration du protectorat se soient résignés à traiter de
pair, fraternellement, les fonctionnaires chérifiens. Ils se considèrent
supérieurs, par leurs traitements, par leurs capacités intellectuelles, par
leur titre de représentants de la puissance qui a vaincu. Ce rappel constant de
leur suréminence, si je peux dire, n’a peut-être pas d’effet trop nocif, ni
trop immédiat, sur les masses. Elle en a sur l’élite que nous avons formée à
nos écoles et à qui nous avons inculqué nos propres principes d’égalité.
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Léon Belly (1827-1877), Pèlerins allant à La Mecque 1861
Huile sur toileH. 161 ; L. 242 cm
© RMN Musée d'Orsay
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