Quatrième de couverture
Été 2010. C'est la guerre au sein de la famille Jann. Avocat
d'affaires à Manhattan, Kamal a une revanche à prendre sur son oncle, le chef
des services de renseignements syriens qui fit tuer ses parents, trente ans
plus tôt, lors des massacres de Hama. Il est condamné, en même temps, à
pactiser avec la CIA pour sauver son jeune frère islamiste sur le point de
commettre un attentat. Manipulés, de bout en bout, par les services secrets
arabes et occidentaux, tous les membres du clan sont piégés, dont les femmes
qui dans l'ombre jouent un rôle décisif et sans pitié.
Mosaïque impressionnante de lieux et de personnages, Kamal Jann
est la chorégraphie puissamment orchestrée du cynisme, de la violence et de la
trahison. Sans doute le premier roman du Moyen-Orient à mettre en scène de
façon implacable les rouages de la répression et la relation toute-puissante
entre familles et pouvoir. La descendance maudite des Jann est condamnée, tels
les Atrides, à tuer et s'entretuer, tandis que le peuple, écrasé, commence à
rêver de liberté.
Dominique Eddé, née à Beyrouth, a entre autres publié Pourquoi il fait si sombre ?, Cerf-volant, et Le crime de Jean Genet.
Extrait
Vue du dehors, Damas est un livre fermé, à la reliure
ordinaire. Une ville voilée. Il faut, pour la voir un peu, l’entrevoir
beaucoup. Pousser une porte après l’autre. S’assoir. Attendre. Entrer en
captivité. Le temps se divise au fur et à mesure. Celui qui est en ébullition
fabrique et dépose son marc, comme du café, au fond des cours. Les mémoires
trempent, quoi qu’il arrive, dans ce dépôt qui survit, toutes heures confondues,
au passage des jours. A Damas, tout se tient et s’emboîte, le vide et le plein,
le noir et le blanc, la nacre et le bois. Il y a partout un endroit qui fuit :
de la vie à la mort, de la mort à la vie. L’une renforçant l’autre. Le ciel
rosit le matin, rougit le soir. Mais dans cette ville , les couleurs sont
rares. Les gens, pour la plupart, sont habillés de noir, de gris, de bleu
marine ; les jeunes femmes voilées de blanc. Le deuil est dans l’air. Le
mystère aussi. Même le bruit, dans les cours intérieures, est enveloppé de
silence. Il ne tient pas, il fait irruption, puis tombe. Damas, c’est quand le
soleil décline qu’on la voit le mieux. Il faut entrer dans les maisons pour s’assoir
dehors. Les rues sont des coulisses. Le théâtre est dedans, niché sous les
plafonds qui tiennent le rôle du ciel. Le ciel, le vrai, existe à peine. C’est
de l’horizon en cage. Un fantôme. Il est rare que les têtes se lèvent et le
regardent en face. Les yeux sont prudents : ils vont et viennent à la
basse altitude des corps et des fenêtres. Ce sont les arbres, les minarets, les plantes qui tiennent lieu
de sommet. Quand la lune apparaît, le ciel ne grandit pas, il s’étoffe. Il gagne
une broche. Privée de mer, coupée du ciel, Damas vue de haut – depuis Kassioun –
est un échantillon des deux gisants au sol. Une mare d’étoiles. A présent, une
nouvelle peau sans âme prend possession de la ville. Des immeubles inanimés,
clinquants, aveugles. A leur pied, le reptile brûlant des voitures et le bruit
des klaxons qui tue le bruit des voix. Al-Cham,
le grain de beauté, risque sa peau, à chaque coin de rue. Mada aime par-dessus
tout les rigoles de la lumières. Les lignes brisées. Son or pris au piège des
murs et des volets. Elle aime le règne simultané du soleil et de l’obscurité.
Ensemble, ils donnent à l’ombre le statut d’un jardin. Son heure préférée, c’est
juste avant le soir, quand, d’un bout à l’autre de la cour rectangulaire avec
sa fontaine rayée ocre et blanc et son couple de vieux divans aux pieds
pourris, l’eau renversée à grand seaux court dans tous les tous après
l’écume noire, semant derrière ses petits restes limpides qui tardent à sécher
parce que la pierre est creuse. Albin Michel
Doussault Charles (1814-1880), La Porte d'Orient à Damas. (C) MBA, Rennes, Dist. RMN-Grand Palais Louis Deschamps |
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