« Celui qui écoute le
témoin devient témoin à son tour. » Elie Wiesel
Quatrième de couverture
Sur les 23 000 « Justes parmi les
nations », il n'y a pas un seul Arabe et pas un musulman de France ou du
Maghreb. C'est étonnant quand on connaît les liens séculaires qui ont uni les
communautés juive et musulmane. Alors, j'ai décidé de chercher. Pendant deux
ans et demi, j'ai défriché des documents, suivi toutes les pistes possibles,
tenté de recueillir des témoignages. On m'a souvent répété : « Mais les témoins
sont morts aujourd'hui. » J'ai
exhumé des archives, écouté des souvenirs, même imprécis, et retrouvé de vraies
histoires : comme celle de cette infirmière juive ou celle du père de Philippe
Bouvard qui ont échappé à la déportation grâce au fondateur de la Grande
Mosquée de Paris, Kaddour Benghabrit. Cet homme a sauvé d'autres vies.
Des anonymes ont également joué un rôle en
fournissant aux Juifs de faux certificats attestant qu'ils étaient de
confession musulmane. La mère de Serge Klarsfeld en a bénéficié : « J'ai
eu une mère algérienne et musulmane pendant quelques mois. Elle s'est appelée
Mme Kader », m'a-t-il raconté. Et l'action du roi Mohammed V au Maroc
durant l'Occupation ne lui vaudrait-elle pas le titre de Juste?
« Celui qui écoute le témoin devient
témoin à son tour. » J'avais toujours à l'esprit cette phrase d'Elie
Wiesel. Je l'ai écrite plusieurs fois, et suis parti en quête de témoins pour
ne pas rompre le fil ténu de la mémoire. » M. A.
Journaliste au Figaro littéraire, Mohammed
Aïssaoui est l’auteur de L’affaire de l’esclave Furcy (prix Renaudot essai et
prix RFO du livre)
Un autre Extrait
Ne connaissant pas bien la ville, je demande
à un guide de m’aider. Comme dans certaines communes du Maroc et d’Algérie, je
pose la question de l’existence d’un quartier juif – il y en a toujours un. Le
guide m’emmène près de l’hôtel de ville, sur le boulevard Maata (beaucoup d’Oranais
disent encore le boulevard Joffre), et me montre la grande mosquée Abdellah Ben
Salem. Je suis un peu surpris, je ne suis pas un expert en architecture, mais
elle ne ressemble pas vraiment à une mosquée classique. Quand je lui fais part
de mon étonnement, le guide sourit, l’air un peu moqueur. Il me dit : « C’était
une synagogue, avant! »
Ainsi, cette grande synagogue d’Oran a été
transformée en mosquée sans aucune retouche. Ça ne remonte pas à si longtemps – c’était en
1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu'ils pouvaient
être purs ou impurs. Je suis étonné de voir le vendredi une foule de musulmans
entrer dans cette synagogue… pardon, dans cette mosquée. Ainsi, les lieux n’auraient pas de
mémoire. Une synagogue peut devenir une mosquée, et ça n’a l’air de gêner
personne – alors que vous n’arriverez pas à faire manger un musulman dans une
assiette déjà utilisée par un Juif. Et vis versa.
La légende dit que l’on aurait amené dans
cette synagogue des pierres de Jérusalem. On y met les pieds, on prie, on espère.
Des Juifs y ont prié, espéré… Puis, des musulmans y ont prié, espéré. Et
pourquoi pas alors un lieu où pourraient se retrouver des Juifs et des
musulmans ? Parfois les hommes me sidèrent.
A Alger aussi, des synagogues ont été
transformées en mosquées.
Dans les documents retrouvés aux archives d’Oran,
je lis des phrases qui surprendraient aujourd'hui, et je souris. Un exemple,
déniché dans une sorte d’atlas de l’époque : « En 1938, la France compte
25 millions de sujets musulmans. » Ça me fait sourire, parce que les
nostalgiques de l’ancien empire colonial n’y avaient pas pensé. « La France
compte 25 millions de musulmans », la phrase effraierait certains aujourd'hui…
D’autres phrases disent l’époque, et la manière
dont des populations étaient considérées. On parle de « l’extrême
versatilité des indigènes ». Ces gens seraient trop sensibles à la
sorcellerie, etc.
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