jeudi 2 septembre 2010

Allégorie, Charles Baudelaire

James Sant (1820-1916), The moonlit beauty
***
C'est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l'amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane ;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu'un nouveau-né, - sans haine et sans remord.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

4 commentaires:

  1. "Elle marche en déesse et repose en sultane "
    que c'est beau! merci ma douce!

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  2. Bonjour Kenza , j'avais perdu votre blog de vue, ravie de le retrouver, je m'empresse de l'ajouter à mes petites fenêtres!! A très vite. Hélène Flont.

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  3. Toujours un plaisir de relire Beaudelaire.

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  4. Un texte somptueux merveilleusement mis en valeur par la toile.

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard