jeudi 2 juin 2011

La compagnie des Tripolitaines, Kamel Ben Hameda

Frederick Arthur Bridgman (1847-1928), In the Harem
***

Quatrième de couverture
  À Tripoli, dans les années soixante, on fête la circoncision du narrateur. Pourtant le jeune garçon ne peut se résoudre à quitter le royaume régi par sa mère et ses amies, Fella la « mangeuse d’hommes », Nafissa qui fume et qui boit, Jamila la sensuelle… toutes tripolitaines d’origine arabe, berbère, africaine, italienne, juive. De ses errances d’une femme à l’autre, dans une société où l’on ne mâche pas ses mots et où le regard porté sur les hommes est sans concession, le petit mâle en devenir forge sa sensibilité.
  C’est un monde débridé, puritain, une Libye hors temps qui s’exprime dans cette ronde de portraits de femmes. Au-delà des contraintes de la bienséance comme dans l’intimité d’un gynécée, explosent leurs bravades et leurs malices, leurs vengeances et parfois leurs révoltes.

  Kamal Ben Hameda revient de loin. D’un monde clos et ourlé d’interdits. Où la première ligne de barbelés est celle qui sépare le monde des hommes de celui des femmes. Marina Da Silva, Le Monde Diplomatique.

  Kamal Ben Hameda est né en 1954 à Tripoli. Dans les années 70, il quitte un pays dont il dénonce l’oppression insidieuse et la « sécheresse intellectuelle », part en France poursuivre ses études puis s’établit aux Pays-Bas où il vit aujourd’hui. Il est l’auteur de nombreux recueils de poésie et d’un récit autobiographique en quête de son enfance tripolitaine. Editions Elyzad

Extrait
  Une silhouette dansante paraît au loin, dans cette rue habitée par un silence de ruines.
  Jamila! C'est Jamila!
  Jamila arrive à la maison, exubérante, ses fesses rondes frétillant sous ses caftans transparents, ses lèvres pulpeuses entrouvertes sur la gomme d'Arabie qu'elle fait claquer bruyamment entre les dents, maquillée comme une star hollywoodienne jusqu'au grain de beauté insolent posé sur la pommette gauche. Elle s'approche de moi et me salue d'un clin d'oeil complice : " Alors petit homme, tu es toujours là!" Et son rire éclate bris de glace.

  Je reste assis ébouriffé, un vrai coq déplumé abandonné sur le seuil. Au moment de franchir la porte, elle s'immobilise un instant pour brosser les tissus qui voilent la courbe de ses hanches et en ôter quelque poussière imaginaire, puis elle entre sans faire plus attention à moi en me bousculant insouciante et jetant un regard par-dessus son épaule: "Quelle dégaine!" Puis de rire en continuant à claquer avec entrain sa gomme d'Arabie.
  Un bruit de pas qui se précipitent dans l'escalier. Sourires et baisers. Je me lève à la poursuite de son sillage de jasmin et d'eau de Cologne, je la retrouve et reste là, à l'écart, dodelinant de la tête. On m'envoie dehors: "Va jouer avec les autres enfants!" Puis on m'oublie. Elle s'en vont ensemble, peut-être dans la chambre du fond sur la terrasse, ou bien dans le salon. Comme d'autres fois, je les imagine... Allongées sur le tapis, appuyées à des coussin accueillants qui s'incurvent sous leurs ébats, leur caftan se soulève et leurs jambes se glissent insidieusement l'une entre l'autre.
  Elles m'oublient, mais moi, je les guette et par l'interstice des tentures à demi croisées, j'observe.
  Elles sont là toutes les deux à se sourire les yeux dans les yeux puis à rire, rire. Leurs yeux, leurs corps, disent leur joie d'être ensemble, assises sur le tapis, vêtues de leurs robes légères, simplement là, sans le besoin des mots, sous la bénédiction des épures dansantes de la lumière qui se réverbère sur les murs de leur refuge. Les éclats de rayons solaires adoucis de cette fin d'après-midi caressent le visage de ces deux femmes, rendues à une insouciance juvénile, métamorphosées par la joie des retrouvailles.

Grand coup de coeur
pour ce petit bijou de 102 pages.
***

6 commentaires:

  1. Oh à lire! Merci ma douce et joyeuse longue fin de semaine!

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  2. Noté. Je pense que cela ira me plaire.

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  3. il est commandé
    merci
    tu me ravis chaque fois : je ne laisse pas souvent de commentaires mais je te lis chaque fois
    bonne journée

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  4. Merci Kenza, je file à la librairie le commander... Et j'ai hâte de commencer le voyage!

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  5. Bonjour Kenza,
    Félicitations pour ton blog...
    Un livre à livre, assurément..Saurais-tu de qui est la peinture sur la couverture du livre " La compagnie des..." ?
    Merci

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  6. @ Sam,
    Je réponds avec un peu de retard, mais je réponds quand même...
    L'illustration de la couverture de ce livre n'est pas une toile, mais une photo et l'éditeur ne précise pas l'origine!
    Désolée

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«Trois opérations : Voir, opération de l’œil. Observer, opération de l’esprit. Contempler, opération de l’âme. Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.» Emile Bernard